éditions L’Harmattan – 2007
La guerre d’Algérie creuse peu à peu son lit de mémoire dans notre imaginaire collectif français. Les historiens s’adressent aux témoins de cette époque qui commencent à vieillir, français ou algériens, plus français d’ailleurs qu’algériens ; car, un grand nombre de combattants algériens sont morts ; ne parlent plus alors bien souvent que les politiques, dont les discours restent imprégnés d’une idéologie frontiste de libération, toujours un peu réductrice.
Les témoins français sont dans la même situation en miroir. Anciens combattants, ils restituent le souvenir d’une guerre dont ils voudraient enfouir les traces. La brutalité des témoignages se tisse alors de la nostalgie d’une période où l’amitié réelle existait.
Dans chaque guerre, manquent les yeux des enfants. Leurs regards naïfs sont alors plus destinés à leurs propres enfants, lorsque ceux-ci les interrogeront à leur tour, et que viendra leur propre maturité.
Ici surgit un témoignage d’une grande rareté. Un Kabyle, MA Kheffache, se souvient de son enfance durant la guerre d’Algérie. Il puise dans ses circonvolutions cérébrales profondes des images, des paroles, qu’il restitue comme l’eau d’un puits sans fond. Un enfant vit toujours les événements de la guerre avec un décalage naturel. Des faits mineurs prennent une importance démesurée mais leur sens n’apparaîtra que plus tard. Tout alors s’éclaire. Son récit autobiographique est bouleversant de vérité. L’instituteur de l’école française, Monsieur Kessad qui le réprimande le matin sur son écriture, l’Ecole Coranique dont l’Imam le bat l’après midi pour qu’il écrive de droite à gauche, sont des personnages d’une double culture tellement contradictoire, tellement niant l’autre, que soudain la conscience se fait jour d’un fossé peut être plus grand que toutes les déclarations politiques. Et notre propre aveuglement, qui confond sans la moindre faille Arabes et Kabyles est souligné par cette mise à l’écart dans son propre pays de cet enfant, lorsqu’il arrive à Alger, lui l’immigré de l’intérieur.
C’est un témoignage si précieux des années 53 à 58 qui manque généralement à l’histoire. Il vient d’un homme que je connais et admire profondément depuis 35 ans pour son honnêteté intellectuelle, sa probité, son courage et son énergie vitale.
Après avoir lu ce livre, l’Algérie prend soudain un autre visage, celui de la richesse d’une pensée devenue si nécessaire à notre monde.
Professeur Didier Sicard
Chef de service de médecine interne à l’hôpital Cochin à Paris,
Président du Comité National Consultatif d’Éthique.