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Conception graphique et webmaster : Pascal Steichen - Rivages Graphiques

Ours

Comité de rédaction : Raymond Alcovère, Anne Bourrel et Françoise Renaud
Comité de lecture :
Antoine Blanchemain, Valéry Gabriel Meynadier
Rédactrice en chef  :
Françoise Renaud

Inédits

Marionnette, de Janine Teisson

Photographie : KoitsukihimeAprès l’exposition on s’est dit on va quand même pas partir comme ça, on est à Avignon, merde, faut voir au moins un truc qui ressemble à du théâtre.
Marie a dit : on m’a parlé d’un spectacle de marionnettes. Cette affiche, c’est ça La vie de Mariella, paraît que c’est super.
On a trouvé, c’était dans une cave. Il y avait un seul marionnettiste et une seule marionnette, genre mannequin en bois articulé grande comme une enfant de douze ans. Tu vois ? Elle avait une jupette.
Les lumières se sont éteintes. Silence. C’était comme un ballet un peu sadique. Le type jouait plein de personnages : le père ou le prof ou le grand-père fouettard, un moniteur de natation ou un docteur pas net. La marionnette devait obéir. Parfois elle voulait s’échapper. Hop ! Il la rattrapait. Il la caressait puis recommençait à lui faire faire ce qu’il voulait. Ce qu’elle ne voulait pas. Presque au même instant, il était tendre puis se moquait d’elle. Il l’attirait et la giflait, puis la consolait pour la rejeter. C’était dingue l’impression de souffrance et en même temps d’espoir toujours rallumé qu’elle donnait cette marionnette. Chaque fois qu’elle avait une seconde de liberté, elle en profitait. Elle devenait aérienne, amusante, ses gestes étaient beaux, elle faisait des pirouettes. Brutalement il raccourcissait les fils. Elle redevenait pathétique, gestes heurtés et pieds qui s’emmêlent. Pourtant ce n’était rien que du bois. Et la jupette. Et un visage absolument lisse. Ni yeux, ni bouche. Pourquoi alors, pendant tout le spectacle, j’ai eu l’impression que ses traits étaient mobiles ?
Tout à coup l’homme s’est mis à la manipuler plus vite, dans tous les sens. Elle tourbillonnait, tête en bas, jambes en l’air, corps cassé. On sentait qu’elle résistait mais elle ne pouvait rien contre le manipulateur, c’est comme ça qu’on les appelle. Ça devenait quelque chose de brutalement sexuel. Il mettait ses mains… Et il y avait cette jupette, tellement blanche, toujours voletante. Cette marionnette nue. J’étais mal, tu ne peux pas savoir. J’avais envie que ça cesse. Alors du fond de la salle une femme a hurlé : « Ca suffit ! » Une voix ! C’était terrible. J’en ai eu des frissons. Un ordre, une supplication, une menace… tout. Il y avait tout dans ce cri. La rage, l’énervement au bord des larmes. Elle a quitté la salle en faisant du bruit. Le marionnettiste n’a pas levé la tête. Je ne sais même pas comment ça s’est terminé.
Dehors on n’a pas arrêté de s’engueuler parce que Marie pensait que la femme qui avait crié faisait partie du spectacle et nous non.

Texte écrit à l'occasion de la Fête des Femmes, mars 2010.

Photographie : Koitsukihime



 

Une heure avant la fin, de Thomas Vinau

peinture de Michael Matta

Une heure avant la fin il faisait encore chaud et la terre avait comme une haleine de pierre. Les vipères s'enlaçaient dans les cratères fumants. Le petit monde semblait aux pieds des petits hommes. L'eau coulait vers le bas. Le vent tournait en rond. Une heure avant la fin la lumière faisait comme un insecte qui grille dans l'électricité. Le monde était un hurlement murmuré. Les bêtes sentaient monter des envies de tendresse et les yeux des enfants ressemblaient aux phalènes qui meurent contre les vitres. Une heure avant la fin les machines machinaient dans le vacarme blanc et les petits humains débroussaillaient leurs routes de petites blessures en petites chansons. Une heure avant la fin c'était déjà fini.

Illustration : Michael Matta, Primula Farinosa, acrylique sur toile, 100 x 81 cm, 2009
blog de l'artiste




Rio loco, de Jean-Jacques Marimbert

photographie de Claude Teisson

La Garonne glissait tranquillement sous le Pont-Neuf. Sur une petite aire de jeux grillagée, des enfants se couraient après comme singes au zoo. Une femme, assise sur un banc, parlait toute seule, riait, s’interrompait. Visiblement, elle délirait. J’ai éprouvé une bouffée de compassion, à deux doigts de m’approcher, de lui offrir un verre, n’importe quoi pour rompre sa solitude. Je me trouvais idiot, elle n’avait évidemment pas besoin de moi, elle aurait pu mal le prendre, avoir peur, être agressive, et puis qu’avais-je de plus ou de moins qu’elle, avec ma pitié masquée, moi qui avais tant de mal à expliquer mes réactions, à me comprendre ? Je devais reconnaître que dans la société, tout était fait pour étouffer cette spontanéité, maladroite mais authentique. Tant que des gens comme elle, me disais-je, pouvaient se promener et vivre en paix, il y avait de l’espoir.
Elle continuait à parler dans le vide. Je me levai et m'arrangeai pour passer devant elle, faire un geste, lui montrer que la solitude était relative, toujours, que nous avions le monde en partage, et bien d’autres choses encore. Enfin, tout ça en un seul geste, c'était beaucoup. La folie m’a toujours fasciné au point de regretter de n’en pas faire l’expérience, ne serait-ce qu’un moment, avec en moi l’écho de cette dérive effleurée et du génie propre au déraillement de l'esprit. La femme avait un débit rapide. Arrivé à son niveau, éberlué, j'ai vu qu’elle téléphonait. Je l’ai regardée et j'ai éclaté de rire. Inquiète, elle croisa les jambes et s’adressa à une olivette. Elle devait me prendre pour un taré, ce qui me réconforta et gomma d’un trait ma gêne. Du coup, je remontai les quais sourire aux lèvres. Quitte à parler tout seul dans la rue, autant le faire comme un fou, un vrai de vrai. D’ailleurs ça me guettait si je n’y prenais garde. Je n’en étais pas à me dire « passe-moi le sel », mais les discours que je tenais devant le miroir de ma salle de bains auraient pu en inquiéter plus d’un.

Site de l'auteur.

Photographie : Claude Teisson, Pause déjeuner à Sofia. Bulgarie





Les poubelleurs, d'Anne Bourrel

photographie de de Paul-Eli RawnsleyJ’ai tout jeté. Tout ce qui gênait, je l’ai jeté. J’ai commencé par les adverbes. Je les ai fourrés dans les sacs en plastiques. Les participes présents étaient moins nombreux, mais j’ai pu remplir deux autres sacs. Des sacs noirs de trente litres. Dans les poches de supermarché, j’ai mis les mots communs et les images faciles. J’ai encore déniché deux ou trois adjectifs moches et une virgule en trop que j’ai mis dans une poche de la librairie Un point un trait, j’ai fermé le sac avec un élastique à cheveux.
De longues tresses de mots gluants me collaient aux doigts, j’ai dû me laver les mains plusieurs fois avec de la térébenthine et me gratter les ongles à la brosse.
Il m’a fallu plusieurs voyages en ascenseur pour sortir tous ces sacs poubelles. C’était lourd. J’avais chaud. Le camion est arrivé juste comme je balançais dans le grand conteneur le dernier sac, celui des adverbes. Il n’y avait qu’un seul poubelleur au volant. Quand il m’a vue, il m’a fait signe. Je me suis approchée. Il m’a montrée comment accrocher les conteneurs à l’arrière du camion et faire basculer la benne pour que le contenu s’y déverse.
Je me suis assise près de lui, dans le camion. Il avait les yeux noirs comme du velours. J’ai fait la tournée. On n’a pas échangé trois mots.
Les gens jetaient des phrases encore neuves, inutilisées. Je me suis largement servie.

Le poubelleur me regardait de biais, il devait désapprouver mes sortes de larcins. Aussi, quand il a passé sa main sous ma jupe, je l’ai laissé faire.
Et je ne l’ai pas regretté.
Après, il m’a raccompagnée chez moi en camion poubelle. Avec les phrases de récupération, je me suis tout de suite remise au travail. J’avais des mots collés partout, sur les vêtements, dans les cheveux. Le lendemain, ça a recommencé. Ménage textuel, poubelles, camion, tournée en ville.
Cette fois, l’homme au volant avait des yeux marron et il était légèrement bègue.

Photographie : Paul-Eli Rawnsley, Unknown, 2010




Voyage avec un âne, de Raymond Alcovère

Nature morte au crâne de mouton, Pablo Picasso

Honneur au travail

Monsieur le directeur adjoint a une mémoire d’éléphant. Il n’oublie rien et surtout personne. Il sait exactement la place de chacun et l’importance qu’il faut lui accorder. Il n’a aucune vision d’avenir, mais connaît sur le bout des doigts les rouages de l’entreprise, le mécanisme des réseaux de pouvoir, quels qu’ils soient. Et surtout il adore ça. Il aime son travail comme personne, ça ferait plaisir à voir s’il n’était constamment de méchante humeur. Et particulièrement agressif envers ceux qui sont en dessous de lui, sauf les esclaves rampants qu’on trouve partout, eux - du moins en apparence - ont grâce à ses yeux. Il crie, éructe, tempête et trépigne pour un oui ou pour un non. Il insulte beaucoup, surtout les femmes, et en leur absence. Il se défoule en permanence. En réalité, des femmes il en a peur, alors il les ménage. Quant aux hommes, à l’exception de ses supérieurs, il les bouscule. Il aime la bagarre, un vrai sale gosse. Son agressivité est maladive, mais il n’oublie jamais sa carrière, le nec plus ultra de son existence. Parti du plus bas il a gravi tous les échelons. On le lui fait payer souvent mais il rend la monnaie au centuple et malheur à qui s’adressent ses foudres et son ressentiment. Son destin deviendra cauchemar. Ils ont été nombreux dans ce cas-là. Il s’estime, et surtout, face à ses inférieurs parle, parle sans arrêt, se plaît à raconter anecdotes plaisantes montrant l’étendue de son expérience et la richesse de son vécu. Pour lui, le sommet de la littérature est le Voyage avec un âne dans les Cévennes dont il cherche sans succès l’édition originale.

Illustration : Pablo Picasso, Nature morte au crâne de mouton, 1939




La disparition des écrins,
d'Élizabeth Legros Chapuis

Ce qui survient en parcourant l’allée des simulacres ne peut être confondu avec la moindre aurore. Car il n’existe pas une once de ressemblance entre les moires du soir et les morts qu’un sort funeste a fait défiler le long des murs de cette enclave. Je lui ai volé un trombone pour m’attacher les cheveux. En fait, c’est à lui que je me suis attachée. Le résultat des fumigations est rarement celui auquel on s’attendait. Mais dans quelques secondes, ou dans quelques années peut-être, je serai capable d’éteindre les lampes. Je pourrai alors exhumer du tiroir le plus anonyme les traces fuligineuses du passage des météorites dans la forêt sibérienne.

œuvre de Robert Ryman

À peine arrivés, les projecteurs se sont tous focalisés sur la même évidence, celle de la disparition des écrins. Il y en avait pourtant un grand nombre, les uns célestes, d’autres chevaleresques, d’autres encore de nature collective. J’ai heurté du front un incroyable prodige et de ma bosse est sortie une araignée boiteuse filant la soie la plus subtile. C’est avec ce fil de soie que la gardienne des ténèbres a tissé le voile qui recouvre les amplitudes. Une table aux jambes croisées, un fauteuil tapissé de velours composent le seul ameublement de la salle des gardes ; je ne sais qui a accroché au mur (et qui plus est, avec un clou rouillé) un calendrier des sapeurs-pompiers vieux de plusieurs encâblures.

Aucun bruit ne se fait entendre, pas le moindre souffle de vent, alors que la lumière a envahi tout l’espace disponible, passant par les plus infimes interstices entre les pierres de la maison jaune. Les chiens ont immédiatement mordu à l’hameçon et se sont retirés pour délibérer. Les gouttes d’eau tombant dans l’escarcelle ont fait le reste. Mais ne croyez pas pour autant que cela va déclencher une prolifération des hannetons.

Mexico, 29 décembre 2009.

Illustration : Robert Ryman, sans titre, 1958

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Chroniques livres

Histoire et littérature, par Antoine Blanchemain

Où il est question de HHhH de Laurent Binet (éd. Grasset 2010)
et de Le dimanche de Bouvines de Georges Duby (éd. Gallimard 2005)

illustration de la Bataille de BouvinesDerrière ce titre étrange (dont la quatrième de couverture donne vite la clé), Laurent Binet rend compte de l’événement considérable que fut, le 27 mai 1942, l’assassinat par deux résistants, l’un Tchèque, l’autre Slovaque, de Reinhardt Heydrich, le Bourreau de Prague, le véritable inventeur de la « solution finale ».
Pourquoi un écrivain de trente-huit ans consacre-t-il dix ans de sa vie à écrire ce livre alors que, comme il le précise lui-même, tout a été dit  sur cette histoire ? Sinon parce qu’il lui fallait impérativement se confronter pour nous aux risques du « roman historique » aussi bien qu’aux faiblesses d’une compilation si honnête, si complète  fût-elle ? Sinon pour s’incliner, une fois de plus, devant l’incommensurable et néfaste pouvoir de la littérature ?
L’écrivain se regarde écrire, se mêle au récit et le voilà, à force de talent, qui construit l’Histoire et nous l’offre, toute vive.

Pourquoi, après cette lecture, être allé rechercher sur la plus haute étagère le livre de Georges Duby ?
12 juillet 1214. Bouvines. Le roi de France, Philippe-Auguste met en fuite l’empereur Otton et ses alliés, le comte de Flandre et le comte de Boulogne. On admet communément que cette date marque le début de la longue marche des Capétiens à la conquête du pouvoir absolu.
Bataille de Bouvines XIVe siècleAprès avoir éclairé ce monde complexe et si mal connu de ce qu’on appelle le monde féodal finissant, après avoir révélé le regard que chaque époque a ensuite porté sur l’événement, tantôt pour le magnifier à l’excès, tantôt pour l’ignorer, tantôt pour le détourner et lui donner un sens qu’il n’eut certes pas, c’est finalement à la littérature que s’en remet lui aussi l’historien, pour élever la réflexion et l’émotion à une hauteur qu’il savait ne pouvoir atteindre autrement.
Toute bataille était interdite le dimanche, Jour du Seigneur. Il fallait donc que Otton, qui l’avait provoquée, soit vaincu.  Comme devait le rappeler un jour, le général Franco : La guerre se fait plus facilement quand on a Dieu pour allié.

Et Georges Duby, le scientifique, de conclure : Dieu. Celui des holocaustes et des défilés militaires. Le dieu de l’ordre établi. Ce grand cheval blême qui planait sur le champ des morts un soir, à Brunete, avait autrefois plané sur Bouvines. Il plane aussi sur Guernica, sur Auschwitz, sur Hiroshima, sur Hanoï et sur tous les hôpitaux après les émeutes. Ce dieu-là non plus n’est pas près de mourir. Il reconnaît toujours les siens.

Illustrations : Bataille de Bouvines (1214), grandes chroniques de France, XIVe siècle,
Bibliothèque nationale de France, département des manuscrits




Syngué Sabour, Pierre de Patience, d'Atiq Rahimi, par Laurette Belle et Anne Bourrel

soldat en Afghanistan

En Afghanistan ou ailleurs, dans une chambre dépouillée repose le corps inerte d’un homme. Près de lui, sa femme dévouée et attentive prie, tout en lui prodiguant les soins nécessaires.
Lentement, le rythme s’accélère, alors que la respiration de son mari semble s’amenuiser, le murmure de la femme s’intensifie, jusqu’à se transformer en un cri qu’elle ne peut plus contenir et qui va lui faire dire des mots interdits, la pousser à se livrer à une confession sans tabous.
Elle parle enfin, se libère du poids des diktats culturels et religieux qui l’accablent. Elle ose clamer ses besoins d'amour et ses désirs de sexe. Elle se révèle et se met à exister.

L’écriture, blanche, au dépouillement maitrisé, précise comme une photographie de guerre, entre dans l’intimité d’une femme pour dire toute l’horreur des conflits armés et de l’obscurantisme contemporain.
En quelques mots, en quelques pages, on voit tout. La sécheresse des bouches, le désordre des maisons bombardées, le gris beige de la poussière, et la mort qui fait de cette femme un martyr de la liberté.

Syngué Sabour, Pierre de Patience (P.O.L.) a obtenu le prix Goncourt en 2008.


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Chroniques art

De l'héritage des aïeux - Leïla Yagoubi,
par Claude Darras

La Robe de la mariéeOn pourrait ne plus bouger, laisser parler cette femme que l’on devine recluse et silencieuse, mais qui soudain, si elle en sent le désir, fait à son interlocuteur l’hommage d’une parole passionnée. La parole douce et fluide de quelqu’un portant en soi une ancestrale et double tradition (père algérien et mère croate) que des années de pérégrination méditerranéenne et de recherche studieuse ont redécouverte et vivifiée. Partagée entre la baie d’Alger (où elle est née) et l’archipel Dalmate (à Kali, village de thoniers réputés), son enfance la nourrit des excitants de la quête des origines. L’École des Beaux-Arts algéroise conforte son adhésion à la philosophie frondeuse du mouvement « Aouchem » dont les militants entendent restaurer, avec la liberté de créer, les savoirs berbères que l’orientalisme a occultés. La défense des us et coutumes la stimule les années suivantes. Et un séjour de dix ans en Corse la persuade de la lointaine parenté des peuples du bassin méditerranéen lorsqu’ils se mettent à chanter et à danser. L’influence de la mer Méditerranée et la vigueur des racines qui s’y abreuvent la hantent et s’infiltrent dans la moindre de ses pensées, suscitant les premières études peintes que dominent les symboliques de l’Empreinte et de la Porte (Empreinte archétypale et Porte des ancêtres). La chorégraphie religieuse et funèbre de la « Moresca » (la Mauresque), savamment étudiée dans l’île de Beauté, inspire d’autres explorations. Mais il est aisé de reconnaître, au gré des prospections postérieures, les motifs des foutas, ces rectangles de tissu à rayures rouges, noires et parfois jaunes que les jeunes filles du Djurdjura portent par-dessus leur jupe. L’inspiration change de méridien avec les losanges hachurés qui lévitent au fond des ciels d’écorce où un entêtant pointillage exalte les rêveries prophétiques des Aborigènes australiens. C’est une manière de transmettre et de perpétuer les connaissances des anciens gravées dans le marbre des civilisations, un moyen de clamer son lien à la terre en réaffirmant la sacralité de l’héritage des aïeux.

Violence et sacré

Leïla Yagoubi vit et travaille à Montpellier.
Claude Darras lui a consacré une monographie dans Ateliers du Sud – l’aventure intérieure (éditions Gaussen, 2008).

Illustrations : La Robe de la mariée, 2003, technique mixte, 105 x 38 cm
Violence et sacré, 2005, pierre noire et technique mixte, 55 x 75 cm
Photos Maurice Rovellotti

 


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Entretien

« J’ai ce ridicule, j’aime les histoires », entretien avec Lydie Salvayre, par Françoise Renaud

Lydie Salvayre

Comment définir votre langue à qui ne vous a jamais lue ?
Jusqu'à BW, j'avais à cœur d'écrire dans une langue qui embrasserait à la fois le populaire et le précieux, le grossier et le sublime, le comique et le tragique (c'est je crois ce qu'on appelle le baroque). J'avais à cœur de faire que se rencontrent, se cognent, s'agglutinent ou interfèrent plusieurs registres de discours, façon pour moi de faire un sort aux hiérarchies langagières qui mettent au sommet la langue des lettrés et en bas la langue populaire.
Avec BW – mon dernier livre –, pour des raisons qui seraient longues à expliquer ici, j'ai renoncé à ce baroque qui m'était, qui m'est toujours si cher, pour une langue plus classique.  

Comment s’annonce chaque livre ? Comme un frémissement à la surface d’une eau calme ou comme un torrent de lave ?
Chaque livre a une histoire singulière, naît d'une urgence différente. Chacun entretient des liens plus ou moins étroits avec les événements de ma vie. Mais ce que je peux dire aujourd'hui, c'est que, de tous les livres que j'ai écrits, celui qui s'est imposé à moi avec le plus de force, celui auquel j'ai été en quelque sorte contrainte, celui qui m'a littéralement envahie sans que je puisse ni veuille lui résister, c'est BW.

BW, votre dernier livre. Ficelé à votre vie personnelle ?
J'ai longtemps cru que prendre mes distances avec l'intime était pourvoyeur de fictions, accélérateur d'imaginaire, générateur d'histoires. Car j'ai ce ridicule : j'aime les histoires. Or avec BW je me suis approchée au plus près de l'intime. J'en ai fait ma matière. Et j'en ai conçu un extrême plaisir d'écrire. Si bien qu'aujourd'hui, je ne sais plus quoi penser.

Votre approche sur le terrain de l’âme humaine influence vos sujets. Est-ce à cause du besoin de dire, de la violence de la souffrance, de l’importance de l’histoire familiale ?
L'histoire de ma famille est violente (mes deux parents ont abandonné leur pays, leur langue, leurs biens en quittant l'Espagne franquiste en 1939 pour vivre en France dans un grand dénuement). Les histoires familiales que j'entends dans le Centre où je travaille comme psychiatre sont violentes, parfois même très violentes. La banlieue où se trouve ce centre est violente. Écrire pour moi est violent. J'ai relevé pour vous quelques citations qui toutes viennent dire ce lien de la littérature à la violence.
Mallarmé : Il n'est d'autre bombe qu'un livre.
Debord : L'art d'écrire est un art de la guerre.
Nietzsche : Écris avec du sang et tu apprendras que le sang est esprit.
Dostoïevski : Il faut écrire le fouet à la main.
Michaux : Écrire: tuer, quoi.
Enfin, Kafka : La littérature est une hache qui brise en nous la mer gelée.

Isabelle Marsala (montage 2)

L’écriture, lieu de liberté, de résistance ?
L'écriture : pour briser en moi, en nous, la mer gelée.
Si elle n'est pas ça, pour moi, elle n'est rien.

Est-ce que laisser trace vous occupe en tant que femme écrivant ?
Je n'y pense jamais. Sans doute parce qu'y penser c'est penser à ma mort. Et pour l'instant, je n'en veux rien savoir. À tort, sans doute.


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Événement

Courage, toujours, par Valéry Gabriel Meynadier

Le Chèvre-Feuille Étoilée, édition de femmes en Méditerranée, a fêté ses 10 ans les 13 et 14 mars 2010 à Montpellier, Salle Rabelais (Écritures de femmes, lieu et lien)

Tlemcen, la Kissariya », aquarelle de Catherine Rossi Il y a aujourd’hui qui déborde, le 13 mars, et puis le 14 jusqu’à ce que la crue s’arrête. Le 14 au soir, nous voilà toutes sur le trottoir. Toutes accrochées à nos valises cartésiennes ô combien raisonnables, s’il ne tenait qu’à nous, le débat continuerait, mais allons - allez disent les valises -, il faut rentrer. Lala - de son petit nom - ferme la porte. Un instant, je ferme les yeux.
J’entends encore la voix de Wassyla Tamzaly quand elle a présenté son livre Burqa. J’étais suspendue à ses lèvres, la réalité me rentrait au-dedans. Je m’incline devant l’intelligence tranchante de cette femme qui ne verse ni dans le sang ni dans le pathos, piste seulement une actualité sans cesse en mouvement. Après l’avoir écoutée, on se sent toujours plus vivant, plus fort. Je revois les aquarelles lumineuses de Catherine Rossi, j’entends ses mots de rosée. On entendait presque son pinceau au travail sur la toile.
Ainsi La réparation de l’excision - ouvrage de Marie-Noël Arras - est possible. Tout est possible alors ? C’est ça : le courage, mot-maître de la maison. Les larmes montent, ma valise me tire par la main. Heureusement l’humour caustique de Leïla Sebbar nous sauve, elle est parfaite dans ce rôle du contrepoint. Nous ne sommes pas là pour faire l’hagiographie des Chèvre-Feuille Étoilée, et puis d’abord, dit-elle, ce « e » à étoilée, elle l’enlèverait bien, elle. Rires dans la salle. Rires sur le trottoir. Mes yeux enfin s’appuient sur le visage infiniment touchant de Behja Traversac, la directrice des éditions. Elle règle les derniers points avec Édith Hadri, la première voix, c’est elle au téléphone, toujours à l’écoute... Allez ! Au revoir Maïssa Bey, merci pour ton livre, toi aussi Janine Teisson, merci Dominique Godfard... Au revoir Karmia Berger, au revoir…
Cette fois, ma valise s’en va, je cours derrière.

Illustration : Catherine Rossi, Tlemcen, la Kissariya, aquarelle
site de l'artiste - sur artmajeur.com



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Arts plastiques

Jeu de mouettes, de Pierre Neuvéglise

photographie de Pierre Neuvéglise

Pierre Neuvéglise — électronicien, architecte, photographe de plateau, meneur de ‘projets culturels’ — se décrit comme un contemplatif pathologique. Il a cherché un moyen facile de mémoriser les scènes, puis, de façon plus compulsive, a commencé la collecte passive d'images ; là où quelque chose peut ou doit arriver ; là où rien ne peut ou ne doit se passer. Impuissant à créer ces instants, il s’est mis finalement en retrait pour laisser venir les images d’elles-mêmes, cultivant ce recul comme un privilège.
Il dit rater avec enthousiasme le portrait et la pose en studio. Déteste la retouche, cherche des lumières absolues. Dans ce but, il bricole son matériel ou en détourne l’usage.

photographie de Pierre Neuvéglisephotographie de Pierre Neuvéglise
photographie de Pierre Neuvéglisephotographie de Pierre Neuvéglise

 




Mémoires des pierres - Annie Got

Silhouettes, d'Annie Got

Silhouette, Annie got




Des religieuses ont vécu là.
Les pierres en gardent la mémoire.
Les sœurs déambulent, fantômes du passé, bruissement des étoffes.
Leurs silhouettes diaphanes glissent furtivement
sur le dallage.

Vouées à la règle monastique, elles œuvraient pour acheter des terrains, construire une église, une école, un pensionnat
de jeunes filles... Les mains parlent aux mains et transmettent les gestes de générations en générations.

Mains - Annie GotMains - Annie Got

Vingt noms, Vingt femmes. Le cahier se referme.
Le temps tisse le voile de l’oubli et gomme les derniers souvenirs.

Portraits - Annie Got

Silhouettes (170 x 60 cm) marouflées sur voile de lin,
Mains (30x40) et Portraits (24 x 30 cm) : technique lavis 

Annie Got, née en terre cathare, n’a jamais lâché la pratique des arts plastiques. Une rencontre avec Marie-Jeanne Lorente lui fait découvrir en 1994 la sensibilité tactile du papier et l’initie à la fabrication de papier végétal. Derrière ses écritures qui s’enchevêtrent ou ses lavis diaphanes, s’affirme son propos : l’effacement, la résurgence.
Ce travail sur la mémoire a été produit pour l’espace Louis Feuillade à Lunel, exposé « in situ » du 20 février au 21 mars 2010.
Mémoire des pierres, empreinte des règles

 



 

Mïa, collages de Florence Causeur-Chastagner

Portrait, par Cécilia MakLe travail de Florence Causeur se nourrit de nombreuses années de voyage (Maghreb, Afrique noire, États-Unis, Polynésie), d’une pratique de la peinture sur soie et sur coton et d’une étude des pratiques traditionnelles polynésiennes (tapas). Elle se consacre aujourd’hui à la pratique du collage : recherche sur le figuratif et le narratif, en même temps réflexion sur l’épure.
Elle utilise le papier Canson dans un esprit ‘modeste’, assez proche de l’arte povera. La richesse du Canson en termes de chromatisme et de texture permet de travailler dans la représentation tout en explorant les possibilités d’abstraction et de perspectives. Jouant sur le détail et le fragment, sur la série et la variation, Florence Causeur tente de dépasser l’anecdote, appréhendant les traces d’une réalité fugitive, évanouie, sous de multiples formes.

Portrait, par Cécilia Mak

Portrait, par Cécilia Mak


En haut : Alger, collage,
75 x 54 cm, 2009.

Ci-dessus : Mïa, collage,
30 x 30 cm, 2009.

À droite : Couples, collage,
40 x 40 cm, 2009.

 

 

 

 

 

 

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