livre d’artiste, œuvres de Laurence Fauchart
format A4 paysage, fermé à l’italienne, dos carré collé, 48 pages, quadrichromie

Ce livre d’artiste est issu du croisement de l’univers pictural de Laurence Fauchart et de l’écriture de Raymond Alcovère à travers son recueil de nouvelles « Doubles ». Nos imaginaires respectifs ont rapidement coïncidé et se sont retrouvés pour aboutir à ce livre ; il comporte des textes inédits ainsi que des illustrations originales inédites également. Les œuvres rassemblées ne cherchent pas à illustrer fidèlement les textes mais à dialoguer avec. « Un texte n’existe que s’il est vivant, soit que le lecteur le transforme, soit comme l’a fait ici Laurence Fauchart, qu’un autre artiste se l’approprie, le revisite et l’enrichit. » R.A.



EXTRAIT
in « La confiture verte », nouvelle inédite
Charles Baudelaire, qui s’était juré, le jour de sa majorité, de découvrir le secret de la langue, las de noctambuler, a rejoint sa cambuse éclairée par une lampe-tempête, sur l’île Saint-Louis, ce navire venu, dirait-on, des pays lointains, des îles sous le vent, s’échouer au cœur de Paris.
Au 17, quai d’Anjou, siège, juste en dessous, le club des Haschischins. Gautier, Nadar, Delacroix, Nerval, Daumier, Balzac, Flaubert, parmi d’autres, y consomment la confiture verte ou dawamesk. Le poète, pauvre comme Job, trouve toujours assez d’argent pour se procurer du pollen de haschisch. Agrémenté de miel, pistache et aromates, il devient confiture verte. L’effet est bien plus enivrant qu’en le fumant. Il n’y résiste pas.
Charles en a avalé à jeun une grande cuillère. Oublié son mal de Naples, son corps s’agite de soubresauts puis de vagues plus douces, ondulantes. Cette ivresse, je l’aime se dit-il, elle me dépasse et m’absout. Tous ces liens terrestres si absurdes qui m’enchaînent sautent, je vole, les mers lointaines n’ont plus de secret pour moi. Ces vagues hautes comme des murailles qui pourraient cent fois nous engloutir m’élèvent. Leur écume est une caresse et le noir du ciel est la couleur profonde qui me nourrit. J’y plonge et je m’y noie. C’est ma couleur préférée. Ses nuances infinies me ravissent. Si j’en porte les habits, c’est parce que la nuit est mon amie, mon alliée, éphémère mais toujours recommencée.
J’entends le cri de la nuit, son souffle rauque et vaporeux. Sa voix profonde, sa vérité, me pénètrent au plus profond. Son sang coule dans mes veines… Pourquoi entends-je ce que les autres n’entendent pas ? Un cri, des hurlements parfois, une sourde inquiétude puis une divine extase. La beauté naît de la douleur. Un remuement dans l’air faussement calme de la nuit. L’empire familier des ténèbres futures. La nuit, là tout se dessine, s’écrit.