Inondations 2018, une chronique de Nicolas Gouzy

Chronique d’un événement, 2018

Trente ans d’une vie dans une benne de tracteur, trente années de labeur englouties par l’eau furieuse du Lauquet, entremêlées, concassées et dont il ne reste plus que des débris méconnaissables recouverts d’une boue noirâtre à l’odeur putride. Rien ne subsiste, rien n’a résisté. L’inondation a laissé en s’évacuant le fantôme du niveau atteint sur les murs, plus de deux mètres cinquante, c’est sûr. On a beau fouiller la vase à la recherche de quelque chose de récupérable ou simplement d’identifiable, le constat est partout le même : « à la benne ». Les sacs-poubelle en plastique noir, ces indéchirables de 100 litres dont on ne savait que faire, s’éventrent consciencieusement, laissant glisser dans la ruelle où ils s’empilent les entrailles d’une vie. On ne mesure pas ce que trente ans d’habitudes, trente ans de travail, de patience, d’efforts représentent en « vrai », le poids, le volume, la diversité, le tout d’une vie. Au bout du centième sac noir, après que les jeunes du village ont viré les meubles les plus lourds et les plus volumineux, les indestructibles bahuts, les imposants canapés et les étagères sur-mesure, il faut accepter que le tout soit devenu indistinctement le futur contenu d’une déchetterie monumentale où tout un village finira amassé. Trente ans de souvenirs, quand ce n’est pas une vie perdue, trente années d’économies, d’emprunts, trente ans pour réussir son jardin, pour punaiser aux murs quelques affiches-conseils dérisoires sur les risques de l’alcool ou du tabac. Et toujours l’odeur âcre et grasse du limon apporté par ce ruisseau d’habitude si vert, si tranquille, fainéant même et avare de son eau. Reste le vide, toujours sali, d’un quotidien meurtri, la porte qui ne ferme plus, comme un vertige triste qui vous serre là et la sirène d’un camion de secours qui retentit au loin. Lire la suite…