Le prénom a été modifié

un livre de Perrine LE QUERREC, une chronique de Jean AZAREL

 1ère de couverture, Le prénom a été modifié

« C’est tout noir et marche devant seule droite, avance en face debout ». Ce mantra lourd de sens encore caché, comme pour toute première fois, ouvre chaque paragraphe-confession du dernier livre de Perrine Le Querrec.
Car ici, tout est poids. Poids du corps saccagé, poids des corps qui saccagent, poids du souvenir, poids de la vie, poids du passé, du présent, de l’avenir.
Le prénom a été modifié raconte six mois de viol collectif d’une adolescente de 15/16 ans par une vingtaine de fous de banlieue sans visage, dans une cité dont on ne s’échappe pas. Avec « la mort à la main », « ils ont décidé de grandir en remplissant une fille de sperme en la gavant de coups. C’est comme ça qu’ils sont devenus adultes puissants respectés dans le grand ensemble ». Et quinze ans plus tard des pères de famille que la narratrice croise au hasard de ses rares sorties… . Le prénom a été modifié raconte le pendant. L’après. L’inoubliable pendant. L’inoubliable après. L’avant, le bienheureux avant, reste en filigrane : lui aussi a été modifié.

À chaque rendu/déglutition de sa descente aux enfers terrestres, l’héroïne (sic) « s’assoit par terre étourdie » et le lecteur aussi. Au fil de soixante dix pages nerveuses, l’innommable est nommé, découpé, déchiqueté, mâché, ingéré, péniblement digéré. Il n’y a pas d’échappatoire. La douleur est si forte qu’elle obture quasiment l’idée de vengeance. Si le désir de mourir s’insinue, le désir de tuer est mort-né par trop plein d’horreur, anesthésié par les médicaments, bouffi par la bouffe, rien qu’une ligne sans illusion.

Vous avez dit « désir » ? D’une écriture courte, sèche, serrée comme le cœur, Perrine le Querrec poursuit une œuvre de témoignage rare, à façon, sans concessions. Qui nous colle aux tripes l’outrance de l’outrage. Qui se fout du tabou. Ce court récit, littéralement Dantesque, plaira aux féministes, mettra mal à l’aise les bobos bien pensants, plongera dans l’épouvante les jeunes filles de bonne famille, fera pleurer les hommes comme moi. S’il pouvait briser les barrières du silence littéraire, ce serait merveilleux. « La guerre on pense toujours que c’est bruyant. La guerre c’est aussi un silence total. »
À la fin, arrive-t-elle trop tôt ou trop tard, il reste une grande lassitude et l’impérieux besoin d’aimer.

Éditions Les doigts dans la prose, 2014

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