Statut d’intermittents des écrivains, édito de Pascal Riché, BIBLIOBS | 1er mars 2024

édito de Pascal Riché, BIBLIOBS, 1er mars 2024
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Un statut d’intermittents des écrivains, sur le modèle de celui des intermittents du spectacle : voilà une audacieuse réforme que Rachida Dati devrait engager pour marquer son passage rue de Valois. C’est du moins la conviction de l’auteur jeunesse et traducteur Mathias de Breyne, dont nous avons publié mardi une lettre ouverte adressée à la ministre de la Culture. Farfelue peut sembler l’idée, et probablement nulles sont ses chances d’être reprise par un gouvernement qui célèbre le travail (qu’on trouve « en traversant la rue ») et qui rabote la durée d’indemnisation du chômage avec l’ardeur des ponceurs de Gustave Caillebotte.

Et pourtant, elle mérite une vraie réflexion. Pourquoi Mathias de Breyne est-il obligé, pour survivre, de déterrer des carottes ou de castrer des épis de maïs, alors qu’il en est à son vingtième livre publié ? Pourquoi doit-il vivre dans la précarité dès la première panne d’inspiration, quand n’importe quel comédien, musicien ou ingénieur du son est assuré de toucher une rémunération chaque mois, quoi qu’il arrive ?

Aujourd’hui, les auteurs vivant de leur seule plume sont extrêmement rares : quelques dizaines d’écrivains dont le talent a été consacré par des prix littéraires ; quelques centaines de producteurs de « livres de plage » périssables ; quelques dizaines de milliers de privilégiés dont l’écriture est un simple hobby, qui vivent de leurs rentes, de leurs retraites, de la rémunération de leur conjoint. Tous les autres, la très grande majorité, exercent une deuxième profession qu’ils subissent comme « alimentaire ». Ils écrivent le soir ou le week-end, au détriment de leur vie personnelle et familiale. Moins de 10 % atteignent des revenus équivalents au smic avec leur plume. Et 60 % d’entre eux doivent mendier leurs droits d’auteur à leurs oublieuses maisons d’édition. Une telle situation peut-elle produire une bonne littérature ?

Précédant Mathias Breyne, pendant la crise du Covid, un collectif d’auteurs (écrivains, plasticiens, photographes, illustrateurs, traducteurs et scénaristes) avait déjà réclamé un statut d’intermittent, dans une tribune publiée par Libération. Ils pointaient l’injustice qu’ils vivaient : « Trouvez-vous cela normal qu’un auteur qui a vendu plus de 10 000 exemplaires d’un livre sur une année (et qui donc compte environ 20 000 lecteurs en incluant le prêt et le marché d’occasion) ne puisse pas en vivre alors qu’un musicien ou un comédien qui aura joué devant 10 000 personnes en vivra dignement ? ».

Constructifs, ils proposaient un système simple : à partir d’un certain un seuil de revenu annuel (ex : 9000 euros), les auteurs se verraient ouvrir des droits à l’intermittence ; au-delà d’un plafond, ils sortiraient du système ; enfin, il serait impossible de cumuler l’intermittence et un CDI. Selon leurs calculs, environ 20 000 personnes seraient au final concernées, soit moins d’un dixième du nombre actuel d’intermittents. Pour financer cette réforme, ils suggéraient une taxe perçue sur la vente des œuvres tombées dans le domaine public soixante-dix ans après la mort de leur auteur. L’idée n’est pas nouvelle : Théophile Gauthier soulignait déjà la nécessité « d’attribuer le revenu de la gloire posthume à la postérité intellectuelle, de former avec les droits d’auteur des grands écrivains classiques une caisse de secours pour la littérature ». Victor Hugo avait lui aussi tourné autour de cette idée. Lui qui aimait tant les oxymores (« Un affreux soleil noir d’où rayonne la nuit ») l’avait baptisée « le domaine public payant ». Pourquoi ne pas mettre Hugo, Gauthier, Racine ou Molière à contribution pour financer leurs collègues du XXIe siècle ?

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