Chronique cinéma : Curiosa de Lou Jeunet par Jean Azarel

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Pour son premier long métrage, la réalisatrice Lou Jeunet nous éblouit avec Curiosa. Servi par un trio d’acteurs sublimes (Noémie Merlant, qui tombe le haut comme le bas avec un naturel d’avant le péché, Nils Schneider, Benjamin Lavernhe), ce film raconte l’histoire vraie d’une des filles de l’académicien José Maria de Hérédia, Marie, avec deux écrivains aux caractères antinomiques, dans la dernière partie du 19ème siècle. Comme l’écrit Cécile Guilbert dans La Croix, cet épisode « intéresse l’histoire de la littérature, celle des mœurs ‘fin-de-siècle’ et le féminisme de notre temps ». Soulevant la chape bourgeoise des convenances, Marie de Régnier vit avec Pierre Louÿs une relation adultère passionnée. Elle s’initie avec lui à un érotisme raffiné en grades et qualité, posant nue devant son objectif tout en le partageant avec Zohra, sa seconde maîtresse algérienne. Marie gagne aussi sa propre qualité d’écrivaine à 28 ans en publiant sous le pseudonyme de Gérard d’Houville, procédé alors quasi inévitable pour une femme, le roman L’Inconstante, prélude à une carrière reconnue par le monde des lettres. Curiosa, ce n’est pas la moindre de ses vertus, nous invite à redécouvrir les œuvres croisées des trois principaux protagonistes, à une époque où la volonté (bien ébréchée de nos jours) d’une esthétique de la langue guide l’écriture.

Le film est aussi une ode à la liberté. Liberté de penser, de jouir, de séduire, avec l’art en bandoulière, bien qu’il porte en lui les germes troublants de la perversion et de la manipulation. Car chacun à sa manière, Henri, Pierre, Marie, Zohra, mais aussi toute la famille de Hérédia, est tour à tour exultant, blessé, victime des élans du cœur et du corps, sujet à des compromissions ou des cruautés, avant de maîtriser plus ou moins son destin, à l’exception de Jean, l’amant de remplacement de Marie qui ne survivra pas à sa disgrâce. En cela, sa façon de rappeler subtilement l’universalité et l’intemporalité des jeux de l’amour et de l’argent, donc du pouvoir, Curiosa est étonnamment moderne.

Certes, on peut ergoter, comme Karelle Fitoussi dans Paris Match, que le film, dans la lignée de « récents biopics phallocentrés » s’accorde quelques légers écarts de maniérisme inutile, mais pourquoi bouder notre (intense) plaisir ? Car ici tout est beau dans un effort accompli de recherche plastique permanente. La caméra jongle avec bonheur avec les cadres, les textures (la chair, les étoffes, les paysages, les objets…), les déplacements, les voix, les sons, leur donne chair… en nous ramenant à une sensualité première et délicate du monde.

En art, le terme « curiosa » désigne une représentation, écrite ou visuelle, érotique, voire pornographique. Pierre Louÿs en était adepte. Lou Jeunet le rejoint en complicité quasi amoureuse sans jamais franchir le cap du voyeurisme sexuel ; on applaudit le cœur battant.

chronique écrite par Jean Azarel le 8 avril 2019

6 thoughts on “Chronique cinéma : Curiosa de Lou Jeunet par Jean Azarel”

  1. Grand merci pour cette critique !…

    Cela fait du bien de sortir du « présentisme » si limité.
    Anne-Marie Jeanjean

  2. Merci pour vos commentaires, c’est un beau film à voir, qui fait du bien
    J’hésite à faire « Blanche comme neige » dont le verre est plutôt à moité vide qu’à moitié plein
    Amicalement
    Jean

  3. Merci pour ce commentaire soigné qui devrait pourtant souligner aussi la générosité du jeu de Camélia Jordana, Mathilde Warnier et Mélodie Richard que Lou Jeunet dirige tout en finesse !
    J’ajouterai encore, après avoir vu ce film trois fois et lu « L’inconstante » et « Le temps d’aimer », que le soi-disant maniérisme qui a parfois été reproché à cette œuvre s’apparente plutôt à l’élégante ironie que pratiquait Marie de Heredia. (Merci à Lou Jeunet de me l’avoir fait découvrir)

  4. Merci Jean-Jacques Lecomte pour les ajouts bienvenus
    Dans la foulée, reste à voir (les films dits d’époque sur les écrivaines sont « tendance ») Vita et Viriginia, un pan de la vie de Virginia Woolf
    Bel été à toutes/tous

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