Verte sera la Chine, de Danielle Ferré

Verte sera la Chine, roman, éditions Librinova, 2021


Marion Vonnac est écologue. Lorsque son frère, expatrié en Chine, lui demande de sauver un « trésor inestimable » en aidant trois étudiantes à transformer un vieux quartier de Shanghai en écoquartier, elle n’hésite pas. Pour l’Agència, son entreprise, c’est une opportunité.
Mais ce Plan-Shanghai provoque la colère de la Triade, la mafia chinoise…

Un roman intense et inclassable pour voir la Chine autrement.

 

 

EXTRAIT
Où l’on entend le Chien de Terre pousser son premier jappement

Jeudi 15 février. Shanghai, sur la terrasse du 701

Demain, les Shanghaiens iront par milliers faire résonner la cloche du Temple Longhua. Mais pour la soirée du Nouvel An, la plupart d’entre eux – à l’instar de huit cent millions de leurs compatriotes – dînent en famille au son des facéties de CCTV.

Pour autant le Bund est loin d’être désert. Des touristes asiatiques et occidentaux, et aussi des « sans attaches », s’y pressent. Les pétards et les feux d’artifice sont interdits pour cause de pollution, mais les lasers et les publicités sur écrans géants font scintiller le fleuve. Publicités en mandarin ou en anglais, qui rivalisent de rouge pour promouvoir : « voitures pour la campagne », « yaourts amaigrissants », « crèmes pour garder la peau blanche », vrai ou faux « vin château français » …

Gabriel, depuis qu’il bosse en Chine, ne rate pas une occasion de cultiver ses guānxì – principale source de bons appuis – et d’étoffer son carnet d’adresses lors d’un déjeuner. Par contre il fuit les foules. La perspective de coudoyer des créatures en grappe l’oppresse. Comme si ces êtres ne formaient qu’un seul corps. Un corps si compact et si dur qu’il pourrait dissoudre le sien. Au demeurant, a-t-on déjà vu les taïpans se mêler aux coolies ? Pour fêter le passage de l’année du Coq de Feu à celle du Chien de Terre, il a retenu une table au 701, le bar-restaurant qui jouxte le Bar Rouge, haut lieu de rencontres pour noctambules argentés.

Le 701 et son illustre voisin possèdent une vue commune. En dessous, le Bund. En face, Pudong. Mais leurs fondateurs ont eu des desseins différents. Le 701 est Art déco, tout en damiers noirs et blancs au sol, boiseries chaudes, tables rondes avec plateaux de verre biseautés, fauteuils en rotin vernis, lustres en cristal de Bohême.

Les Chinois de Shanghai ne fréquentent pas ici, mais d’autres, revenus d’outre-mer fortune faite, en prisent les tentures feutrées, les whiskies hors d’âge et la finesse des mets. Ils en prisent surtout le jazz. Selon la rumeur : le gratin de la région.
L’addition sera salée. Gabriel le sait, c’est un investissement. L’investissement de la dernière chance. Il est résolu à profiter de l’absence des étudiantes pour se réapproprier cette nuit même le Plan-Shanghai. Le plan et ses acteurs.
Lian s’éloigne à la vitesse de la lune, et en termes diplomatiques, Mei et Xia cultivent une distance de fuite. Quant à Manuel, sa romance, Pékin… le mec cumule. Et impossible d’aborder le sujet, c’est une huitre. D’où l’idée de profiter de la fête pour circonvenir Estelle, la nouvelle. Vu son look : lèvres écarlates et taille de guêpe, il suppose – si la photo est bonne – qu’il n’aura pas trop d’efforts à faire.
Le jazz est l’atout maître qu’il s’apprête à sortir de sa manche.

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