Pollen, de Joëlle Wintrebert

Pollen, anticipation, collection Les Poches du Diable, éditions Au diable vauvert, mars 2021
Illustration de couverture : Olivier Fontvieille


Sur Pollen, une civilisation matriarcale, utopiste et pacifiste maîtrise la reproduction par manipulation génétique et gestation in vitro.
Pour éradiquer la violence, elle a fait naître un garçon pour deux filles et relégué ses guerriers sur un satellite. Mais toute société de contrôle porte en elle les germes de la rébellion…

 

EXTRAIT

Mon arbre, avait-elle murmuré plus tard, tout son être réunifié, caressant de ses lèvres le néoderme sous lequel coulait la vie. Quand il y avait trop de questions, la sève donnait des réponses.
La nuit était très avancée quand elle avait appelé Kindia. La marraine n’était pas couchée. Elle avait attendu, patiente, non des excuses mais la preuve que Sahrâ n’allait pas se détruire. Oui, les guides croyaient bien faire en obligeant les jumelles de Sandre à reprendre une vie normale. Toute sollicitation paraissait préférable à l’enfermement du chagrin.
Et Sahrâ marchait, les doigts crispés sur la main de Salem, entre les cuves où se développaient les triades, écœurée de s’apercevoir que le processus n’était pas si différent de celui des cuves à viande dont on leur avait appris le fonctionnement six mois plus tôt.
Autour d’elles, des filles poussaient des trilles d’oiseaux excités. Sahrâ remarqua que beaucoup de garçons s’étaient séparés de leurs sœurs et, rassemblés, chuchotaient en regardant le système vasculaire des endomètres où circulait un sang artificiel mû par des pompes électriques.
La forte voix de Grimsel expliquait les mécanismes du développement depuis la formation du blastoderme. Une lumière rétroprojetée éclairait les matrices tour à tour, appuyant ses propos. Derrière les muqueuses villeuses aux veines rouges, on discernait des formes de moins en moins petites. Sahrâ tressaillit en découvrant dans plusieurs cuves des triades presque matures et qui se tenaient enlacées.
Elle ne doutait pas d’avoir étreint elle aussi son frère et sa sœur dans la matrice. La nostalgie la frappa si fort qu’un vertige la prit. Elle dut se cramponner à Salem pour ne pas tomber. Grimsel les surveillait sans doute, conscient de ce qu’on l’avait obligé à exiger d’elles, ce jour-là. En un instant, il fut là, soutenant Sahrâ, disant qu’il les dispensait de la partie théorique du cours, qu’il les autorisait à regagner leur nid.

Le Don des chimères, de Joëlle Wintrebert

Le Don des chimères, récit d’anticipation, Armada, octobre 2020
Illustration : Jean Mathias

Qui ne rêverait de rencontrer la créatrice des chimères, ces créatures fabuleuses dont la mue permet de récolter la fourrure ?
Idunn n’en éprouverait que du plaisir si on ne l’y avait contrainte. Quand vous devez élever seule votre enfant et que c’est une autiste, les propositions les plus détestables ne peuvent se refuser.
Vous ne manquez ni de talent ni d’énergie. Cela suffira-t-il pour triompher de l’adversité ?

 

EXTRAIT

Dès qu’elle retrouve le Fairmont Narbonne, Idunn perd l’assurance affichée plus tôt devant Karen Elysium. Son sentiment de culpabilité la tenaille. Qu’est-ce qui lui prend, de s’apprêter à livrer sa fille, un être sans défense, à ces folles égoïstes ? Et tu prétends plier pour la protéger ? Tu aurais dû envoyer la damnée présidente au charbon.

Elle gare la voiture et tire sa progéniture de l’habitacle, exaspérée de mesurer une nouvelle fois le poids qu’elle représente. Poids dans ma vie, poids au bout de mes bras, pense-t-elle en secouant doucement le corps inerte. L’enfant voit-elle seulement ce qui l’entoure ? Les étangs et la mer miroitant au soleil maintenant que la tempête a cédé ? Les tours du Palais des Archevêques, au loin, qui se dessinent, graphiques au-dessus du damier des tuiles de la vieille ville ? Entend-elle les mouettes inlassables crier dans le bleu cru du ciel ? Et les chauds arômes de résine, d’écorces et d’aiguilles qui proviennent du bois de pins d’Alep, les sent-elle ? Au moins, le changement radical de ses habitudes ne paraît pas l’angoisser. Les thérapeutes prédisaient une réaction majeure, elle ne s’est pas produite. Ou pas encore ?

Pollen, de Joëlle Wintrebert

Pollen, roman d’anticipation, Au diable Vauvert, août 2016

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Société humaine matriarcale, utopiste et pacifiste, la civilisation de Pollen maîtrise la reproduction par manipulation génétique et fécondation in vitro. Pour éradiquer la violence, elle a relégué ses guerriers sur une planète satellite. Pollen présente un portrait doux et subtil des liens de pouvoir, de domination et de désir qui unissent ou séparent les deux moitiés de l’humanité…

On peut lire un extrait de ce roman sur le site de l’éditeur.