Lydie Salvayre : "J'ai ce ridicule, j'aime les histoires"

Bravo à Lydie Salvayre, prix Goncourt 2014 

1ère de couverture, Pas pleurer

Un magnifique roman sur la guerre d’Espagne hanté par la figure de l’écrivain Georges Bernanos et la voix de sa propre mère.
Françoise Renaud l’avait interviewée en avril 2010 pour notre magazine.

« J’ai ce ridicule, j’aime les histoires »

Comment définir votre langue à qui ne vous a jamais lue ?
Jusqu’à BW, j’avais à cœur d’écrire dans une langue qui embrasserait à la fois le populaire et le précieux, le grossier et le sublime, le comique et le tragique (c’est je crois ce qu’on appelle le baroque). J’avais à cœur de faire que se rencontrent, se cognent, s’agglutinent ou interfèrent plusieurs registres de discours, façon pour moi de faire un sort aux hiérarchies langagières qui mettent au sommet la langue des lettrés et en bas la langue populaire.
Avec BW – mon dernier livre –, pour des raisons qui seraient longues à expliquer ici, j’ai renoncé à ce baroque qui m’était, qui m’est toujours si cher, pour une langue plus classique.

Comment s’annonce chaque livre ? Comme un frémissement à la surface d’une eau calme ou comme un torrent de lave ?
Chaque livre a une histoire singulière, naît d’une urgence différente. Chacun entretient des liens plus ou moins étroits avec les événements de ma vie. Mais ce que je peux dire aujourd’hui, c’est que, de tous les livres que j’ai écrits, celui qui s’est imposé à moi avec le plus de force, celui auquel j’ai été en quelque sorte contrainte, celui qui m’a littéralement envahie sans que je puisse ni veuille lui résister, c’est BW.

BW, votre dernier livre. Ficelé à votre vie personnelle ?
J’ai longtemps cru que prendre mes distances avec l’intime était pourvoyeur de fictions, accélérateur d’imaginaire, générateur d’histoires. Car j’ai ce ridicule : j’aime les histoires. Or avec BW je me suis approchée au plus près de l’intime. J’en ai fait ma matière. Et j’en ai conçu un extrême plaisir d’écrire. Si bien qu’aujourd’hui, je ne sais plus quoi penser.

Votre approche sur le terrain de l’âme humaine influence vos sujets. Est-ce à cause du besoin de dire, de la violence de la souffrance, de l’importance de l’histoire familiale ?
L’histoire de ma famille est violente (mes deux parents ont abandonné leur pays, leur langue, leurs biens en quittant l’Espagne franquiste en 1939 pour vivre en France dans un grand dénuement). Les histoires familiales que j’entends dans le Centre où je travaille comme psychiatre sont violentes, parfois même très violentes. La banlieue où se trouve ce centre est violente. Écrire pour moi est violent. J’ai relevé pour vous quelques citations qui toutes viennent dire ce lien de la littérature à la violence.
Mallarmé : Il n’est d’autre bombe qu’un livre.
Debord : L’art d’écrire est un art de la guerre.
Nietzsche : Écris avec du sang et tu apprendras que le sang est esprit.
Dostoïevski : Il faut écrire le fouet à la main.
Michaux : Écrire: tuer, quoi.
Enfin, Kafka : La littérature est une hache qui brise en nous la mer gelée.

L’écriture, lieu de liberté, de résistance ?
L’écriture : pour briser en moi, en nous, la mer gelée.
Si elle n’est pas ça, pour moi, elle n’est rien.

Est-ce que laisser trace vous occupe en tant que femme écrivant ?
Je n’y pense jamais. Sans doute parce qu’y penser c’est penser à ma mort. Et pour l’instant, je n’en veux rien savoir. À tort, sans doute.

Isabelle Marsala (montage 2)

Lydie Salvayre est née de parents espagnols réfugiés en France en 1939. Jusqu’aux années 50, ces derniers ne vivent que dans l’espoir d’un retour au pays. Ils habitent une Espagne mélancolique appareillée par le hasard dans un village du Sud de la France. Lydie Salvayre vit entre deux histoires, entre deux langues, entre deux styles. Très vite, elle est saisie par « le vice » de la lecture. Elle y apprend le bien-dire des livres, mais garde un goût joyeux pour le mal-dire pratiqué bruyamment à la maison et dans la rue. Elle remporte à seize ans le premier prix d’un concours de twist qu’elle considère comme son premier prix littéraire. Plus tard, elle fait des études de Lettres. Puis se tourne vers la médecine et la psychiatrie. Elle dit que son expérience de psychiatre en hôpital psychiatrique fut inoubliable et qu’elle changea radicalement sa vie. Aujourd’hui, elle mène de front son travail de psychiatre auprès des enfants et son travail d’écrivain.