Chronique littéraire : Écrits stupéfiants de Cécile Guibert, par Jean Azarel

Écrits stupéfiants, de Cécile GUILBERT
collection Bouquins, Robert Laffont éditeur, septembre 2019

Nous avons pour la plupart la volonté de ne pas mourir idiots. Chacun a sa ou ses recettes. Lorsqu’elles sont communes, elles rassemblent les hommes et les femmes, surtout lorsque leurs variantes permettent d’augmenter la qualité des échanges, quand l’immuable conduit au principe moutonnier qui plaît tant à nos gouvernants et aux multinationales.
Avec Écrits stupéfiants, l’essayiste et romancière Cécile Guilbert nous donne (ou presque, pour la modique somme de 32 € qui n’est rien au regard des 1440 pages de ce pavé de mots délicatement feuilleté) à lire la somme d’un travail de près de dix ans d’une richesse phénoménale. Après un prologue personnel d’une sincérité de haut vol où l’auteure livre sa vérité sur le sujet (vérité que je fais mienne), place à une incroyable (mais vraie) revue des drogues (terme générique) de toutes natures et de leur rapport à la littérature, à travers toutes les époques, d’Homère à Will Self comme l’indique la première de couverture.

Après un second prologue dédié à deux substances mythiques le soma et le népenthès, Écrits stupéfiants s’architecture en quatre parties.
La première, Euphorica, traite de l’opium, la morphine et l’héroïne racontés entre autres par Baudelaire, Charlotte Bronté, Malraux ou Allen Ginsberg qui côtoient Jules Verne, Alphonse Daudet, Drieu la Rochelle et l’inévitable Burroughs.
Avec Phantastica, livraison à domicile de cannabis et substances psychédéliques, qu’elles soient divinatoires (peyotl, mescaline, datura…) ou issues de champignons hallucinogènes (LSD). Le livre donne alors notamment la parole à Hérodote, à Pline l’Ancien, aux haschischins américains et fin de siècle /Belle Époque, les pionniers psychiatres et pharmacologues,…Dans une joyeuse cosmogonie Rimbaud et Rabelais s’acoquinent avec Philippe Sollers, Lewis Carroll, Amélie Nothomb.
Inebrianta, partie la plus courte, traite des anesthésiants et des solvants (éther, tétrachlorure de carbone) avec en figures de proue Maupassant ou René Daumal.
Excitantia, après une introduction aux stimulants (le café), enchaîne (ou déchaîne ?) sur la cocaïne, le crack, les amphétamines et l’ecstasy, avec au hasard des noms les « signatures » de Robert Louis Stevenson, Freud, Kerouac, Beigbeder, Marina De Van.
Cécile Guilbert conclut sur les deux paradigmes de la drogue : le produit / la dose. Suit une bibliographie générale en forme d’overdose non mortelle, mais au contraire bien vivifiante (près de 700 auteurs, plus de 1 000 ouvrages cités !).

On l’aura compris, impossible de ne pas tomber dans l’addiction à ce « roman de romans » pour paraphraser un titre cher à Raymond Alcovère, où le lecteur voyage dans le temps et l’espace à travers toutes les substances psychotropes et leur imaginaire….mises en écriture mondiale de tous genres confondus : poèmes, récits, romans, théâtre, correspondances, comptes rendus d’expériences, essais, journaux intimes, textes médicaux et anthropologiques . LE livre à lire pour ne pas mourir idiot. Ou d’un arrêt du cœur inopiné après avoir trop forcé sur un produit interdit.

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