Magazine

Conception graphique et webmaster : Pascal Steichen - Rivages Graphiques

Ours

Comité de rédaction : Raymond Alcovère, Anne Bourrel et Françoise Renaud
Comité de lecture :
Dominique Gauthiez-Rieucau, Valéry Meynadier
Rédactrice en chef  :
Françoise Renaud
Directeur de publication : Francis Zamponi

Inédits

Le bourdonnement de la vie,
de Jean-Jacques Marimbert

Photographie d'Hicham Gardaf

Une abeille voulait traverser la vitre, rejoindre les fleurs, les champs, le ciel. On n'entendait qu'elle. Mon père l'écrasa d’un revers de sa serviette roulée. Allez, mange, ça va être froid, dit ma mère du bout de la nappe blanche, derrière un plat fumant.
Ce coup de serviette a planté un clou dans ma tête pour y fixer un lieu, l’atmosphère et les couleurs d’une journée. La vie de l’abeille, expulsée du point bourdonnant que la vitre aimantait, a marqué la mienne à jamais.
Serviette blanche, carreau impeccable, ciel torturé, piège parfait. Glissant sur le carreau, ailes et pattes affolées. Tout s'est mis à trembler, table, buffet, tableaux, et mon corps. Les diamants du lustre cliquetaient entre les tulipes. Il ne restait qu’une traînée marron jaune, et une substance brillante, du sang blanc. Le corps sans tête s’est abîmé lentement, roulant sur lui-même, collé à la transparence, refusant de tomber puis contraint de rejoindre le sol carrelé. La tête pendait au bout d’un fil tiré de l’abdomen éclaté. Une patte griffait la vitre, un peu plus bas. Ou alors le dard.
Derrière l'abeille disloquée, au loin, les nuages se gonflaient de colère, les arbres agitaient leurs branches, les oiseaux faisaient de grands cercles, en signe de désapprobation. Ma mère nettoya le carreau avec du papier journal, puis une éponge humide qui laissait des traces opaques.
Après le repas, nez collé à la vitre au point d'agonie, je cherchai une odeur, un invisible indice, je ne sais quoi.
Je suis né ce jour-là. C’était un dimanche.

Photographie d'Hicham Gardaf - gardaf.com





Cette nuit Où, de Valéry Meynadier

Paul-Eli Rawnsley, Sans titre, light painting

Mars 1984
Cherche
La nuit cherche tes yeux – lourde nuit – massive et le téléphone et cette nuit au bout du fil comme un caniche – J’ai tiré la laisse – J’ai arraché le cordon avec mes dents et la nuit me dévore – Je tombe – Je prie – Honte – Qu’elle me recouvre – Je ne veux plus me lever – Le ciel pue à force d’étoiles et je ne te vois pas – Pue – Cimetière de vols d’oiseaux et tes yeux fermés à jamais 
Comment savoir ?
La nuit de plus en plus muette m’arrache la langue
La nuit Où

Octobre 1993
Les arbres s’allongent dans la moiteur du silence
Silence qui se cherche et se trouve – Moi, j’allonge le pas – Rien n’y fait – Rattrapé – Elle s’étend, s’étire, se tasse parfois entre deux vertèbres élues et craque le plancher, craque la maison
Les lumières s’allument, certaines fatiguées, les autres enfin dans l’allégresse de recevoir la pleine nuit, tel un bol de lait noir que l’enfant boit avec une joie si / Quand les dernières s’allument, boivent à la lune
Lait impénitent qui se renverse dans ce bois Où

Décembre 1999
La nuit s’est retournée – A rebroussé la colonne de fourmis blanches – La neige sur ta tombe m’a donnée une signature nouvelle – Le froid s’est apaisé – Sa morsure vient de moins loin
Le loin s’est refermé – L’iceberg confondu s’est excusé, répandu en cristaux significatifs, de quoi ?
Un jour, la nuit change
Ce jour Où

Illustration : Paul-Eli Rawnsley, Sans titre, light painting, 2010




La roue tourne, de Bernard Lonjon

toile de Luigi Russolo

Depuis plusieurs minutes déjà, nous roulons dans notre belle voiture décapotable, un peu clinquante. L’allure est modérée. Des passants nous envient. Ils sourient. Certains nous saluent d’un geste de la main. Près de moi, attentive et enjôleuse, Noémie guette d’un œil circonspect. Cela fait deux mois que nous nous sommes rencontrés ici même. Et déjà je crois que nous sommes très amoureux. Sur notre gauche, un véhicule de pompiers roule à la même vitesse. Sa grande échelle est abaissée. À l’intérieur, les occupants s’activent et se concentrent sur leur tâche. Deux motards nous ouvrent la voie. C’est un ronronnement régulier qui attire notre attention vers l’arrière. Un hélicoptère à basse altitude suit le véhicule de pompiers, sans doute concentré sur le même objectif. Derrière, un camion américain semble vouloir imposer sa puissance. Noémie, légèrement angoissée, ne cesse de se retourner. La circulation devient dense. Le cycliste sur notre droite n’est pas vraiment rassuré.
Soudain, une sirène stridente. La circulation ralentit, petit à petit. Noémie me fixe de ses yeux interrogateurs, fronce les sourcils, me demande si j’en ai d’autres…
Oui bien sûr j’ai encore des tickets. Je viens d’avoir huit ans. Maman m’en a offert pour mon anniversaire. C’est déjà la fin du tour de manège.

Illustration : Luigi Russolo, Dynamisme d’automobile, 1912, 104 x 140 cm
Musée national d'Art moderne, Paris




Le médecin, d'Andrée Lafon

toile de Léon Joseph Florentin Bonnat Louise se rappelle qu'elle n'allait pas souvent chez le médecin, il venait à la maison quand elle était malade. Presque chaque mois, au milieu de la nuit, elle était prise d'étouffements. Ses parents s'inquiétaient. C'était sans doute fait pour ça. Ce n'était pas de l'asthme ni des angines à répétition, mais des spasmes du larynx qui la prenaient comme la colique et disparaissaient dès le lendemain. Elle devenait, pour une nuit, l'objet de tous les soucis et de toutes les attentions. Entre deux crises, elle se portait bien et tenait peu de place.
— Comment prévenait-on le médecin ? se demande-t-elle. Il n'y avait pas encore le téléphone, il me semble. Qui allait le chercher ? Mon père, sans doute.
Elle ne garde aucun souvenir de ces détails. Ni du traitement employé pour la soulager. Ce qu'elle sait, c'est que sa mère admirait l'homme compétent, honnête, dévoué, qu'on avait tiré du sommeil. Elle lisait dans ses yeux qu'il pratiquait le plus beau métier du monde. Son père, lui, envoyait des gens à l'échafaud. Plus tard, elle épouserait un médecin.
Les suffocations nocturnes et passagères de Louise résultaient sûrement des diverses angoisses accumulées pendant des jours et des jours. Inquiétudes devant les mystères de la vie, les mots inconnus, les sous-entendus ironiques, les allusions trop discrètes. Le sexe, moins on en parle, plus il est présent. Son père racontait à table des histoires drôles, des plaisanteries un peu lestes, à en juger par la lueur de ses yeux et le ton particulier de son rire, par le sourire de ses frères et l'air offusqué de sa mère.
La petite fille n'y comprenait rien et elle était sûre qu'elle ne devait pas chercher à comprendre, sa mère n'aurait plus su où se mettre. Les questions s'ajoutaient, s'agitaient dans sa tête et finissaient par la prendre à la gorge, par lui couper le souffle, déclenchées peut-être pendant le sommeil par un rêve oppressant. Après coup, elle jouissait d'avoir provoqué une cérémonie familiale et médicale, un rite mensuel, pour ainsi dire menstruel. C'était sa seule occasion de jouer un rôle important. La seule aussi de voir son père et sa mère réunis pour s'occuper d'elle. Au milieu de la nuit, en plus, à l'heure où le silence fait ressortir le moindre bruit.
— J'ai dû y puiser mon goût pour le théâtre, j'étais l'héroïne et eux le public, qui est accroché au souffle de l'acteur et lui donne de l'importance. Je les tenais, pour un moment, à ma merci. Mes parents ne se sont jamais demandé si mon mal se situait ailleurs que dans ma gorge. Les idées de Freud n'étaient pas parvenues jusqu'à eux. Pourtant, Jacques Lacan habitait Rodez, à l'époque.

Extrait d'un ouvrage en cours, Retour à Rodez.

Illustration : Léon Joseph Florentin Bonnat, Fillette endormie, 1852, huile sur toile





haut de page

Chez mon libraire, ce n'est pas plus cher !

Languedoc Roussillon Livre et Lecture nous propose deux nouveaux textes d'auteurs issus du projet d'exposition textes et images lancé à l'occasion des trente ans de la loi Lang et inauguré le 19 novembre 2011 à la médiathèque de Bagnols-sur-Cèze. Chacun est mis en résonnance avec une photographie de Sylvie Goussopoulos.

librairie L'eau vive, Nîmes – Sylvie Rey et Christine Bertignac

Librairie L'eau vive, Nîmes – Sylvie Rey et Christine Bertignac © Sylvie Goussopoulos

Lire… Une double peau

À l'époque – je vivais au Maroc –, il me semble que les objets n'existaient pas. À chacun de mes anniversaires, ma mère m'emmenait dans la meilleure pâtisserie de Rabat et je choisissais deux ou trois gâteaux à dévorer sur place.
Mais cette année-là, j'eus huit ans, l'âge d'avoir un livre. Je ne me rappelle plus la librairie, seulement la sensation de caverne chaude lançant ses ombres pour me saisir, les murmures d'adultes, les transactions mystérieuses de regards, de billets consacrant l'entrée de l'enfant que j'étais dans ce nouveau monde. Le livre, c'était Le Lion, de Joseph Kessel, paru quatre ans plus tôt ; l'édition à la couverture toilée, verte, de la Collection Soleil de Gallimard, et sa jaquette en plastique, transparente. Pas d'image, juste le titre doré, gravé.
De retour dans ma chambre, je me suis enveloppée dans ces mots et quand le lion est mort, je suis restée, avec ma double peau. Elle m'immunise, avec elle, je respire au carré.

Sylvie Crossman

librairie Raynal, Mende – Jacques Rayal

Librairie Raynal, Mende – Jacques Raynal © Sylvie Goussopoulos

Le dernier mot

Lire le premier mot. Celui du début. Le premier mot du premier livre de la pile. Celle du salon. Celle du dernier livre laissé hier soir juste avant d’aller se coucher. Mais non le livre de la dernière lecture de la journée. De la journée ? Celui-là est sur la table de chevet. Une autre pile. La pile de la pleine nuit. La pile des insomnies. Ce n’est pas la même lecture. Il faudrait un livre pour chaque instant de la journée. Un livre d’heures. Maintenant, donc, c’est le matin. Reprendre pour se rappeler le rêve d’une phrase. Feuilleter. Mais quelle phrase ? Chercher la phrase avec ses mots. Celle qui a déposé ou clos en nous tout un monde, l’a ouvert. Quelle phrase ? L’index sur le papier. Plus bas. Le sens fuit. Le sens fuit encore. Un autre sens est là. Voyager sur un mot. Voilà c’est ça. C’est ce mot.

Jean-Paul Michallet

 

Prochains rendez-vous :

  • Du 1er au 30 décembre 2011 – Carcassonne, Médiathèque Grain d'aile
  • Du 1er au 16 décembre 2011 – Carcassonne, Lycée Jules Fil
  • Du 30 novembre au 30 décembre 2011 – Carcassonne, Librairie Breithaupt
  • Du 6 au 28 décembre 2011 - Librairie Mots&Cie - Vernissage et lecture des textes : jeudi 15 décembre à 18h30
  • Du 6 au 30 décembre 2011 - Médiathèque du Grand Narbonne – vernissage et rencontre aec Jo Witek : vendredi 9 décembre à 16h
  • Du 1er au 31 décembre 2011 - Librairie Libellis, Narbonne

La tournée de l'exposition (lr2l.fr)

haut de page

Chroniques livres

Méthodes d'éditeurs, d'Alfred Boudry

ou Comment traiter les manuscrits ? (100 % authentique)

photographie d'Alfred BoudryAprès avoir soumis un roman à une dizaine d'éditeurs bien ciblés, je reçus au bout de douze jours un courriel de la maison Hoëbeke. C'était un refus en deux lignes, signé par une certaine Catherine X, qui m'informait que le manuscrit restait disponible pendant... dix jours ! Par coïncidence, je devais être à Paris le dernier jour de ce délai. Je renvoyai un e-mail prévenant de mon passage. Au jour dit, je toquai à l'huis d'Hoëbeke, rue du Dragon. J'entendis un pas nerveux foncer vers la porte, qui s'ouvrit pour révéler une brune à queue de cheval et talons aiguilles. J'expliquai brièvement la raison de ma présence. « C'est pas le moment ! » dit-elle. Comme elle s'apprêtait à refermer, je fis un pas en avant. Soufflant des naseaux, elle s'engouffra dans un bureau attenant. Je la poursuivis. « Quel manuscrit ? Quel titre ? » jappa-t-elle, accroupie devant une pile d'enveloppes posée par terre. Le temps que je décline à nouveau le titre, elle m'avait déjà montré une dizaine d'enveloppes par-dessus son épaule, les rejetant en vrac. « Je ne le vois pas. (Il en restait une cinquantaine.) Décrivez-le ! C'est pas le moment... » Je redonnai le titre. « Oui, bon. Vous le voyez ? » « De là où je suis, je ne vois rien. » Elle se releva et fonça sur un ordi. « C'est quoi, votre nom ? » Je le lui répétai. Elle cliqua trois fois, pianota une seconde et demie, jeta un coup d'œil à son écran. « Je ne le vois pas ! » J'avais compris et décidai d'abréger nos souffrances. « Ne vous fatiguez plus ; j'y vais. » « C'est que... c'est pas le moment ! » « Oui, vous l'avez déjà dit. Au fait, c'est vous, Catherineuh… ? » « Oui ; et alors ? » « 'Sais pas pourquoi, je m'en étais douté. »

Il est temps qu'un texte de loi
Prive les éditeurs de leurs droits
Puisqu'on fourre en prison les souteneurs ordinaires
Et encore... eux... leurs putains les aiment.
(Boris Vian)

Nature humaine, photographie de l'auteur

 


 

Blasted de Sarah Kane, par Anne Bourrel

Le 12 janvier 1995, est donnée au Royal Court Theatre de Londres la première de Blasted, dans une mise en scène de John MacDonald. La critique se déchaîne contre l’extrême violence et l’absolue cruauté de ce qui est montré, passant à côté de la portée poétique du texte. L’auteur, une jeune anglaise à peine sortie de l’université, est traité « d’ado suicidaire et frustrée » et la pièce de « célébration de la crasse ». Sarah Kane est cependant soutenue par le public, par de nombreux artistes et des dramaturges renommés comme Edward Bond et Harold Pinter.

portrait de Sarah Kane

Blasted s’ouvre sur une chambre d’hôtel de luxe impersonnelle, à Leeds. Ian, un journaliste grisonnant au langage ordurier essaye de séduire Cate, beaucoup plus jeune que lui, mais n’y parvenant pas, il la viole. Cate s’enfuie par la fenêtre de la salle de bain. Un soldat entre alors dans la chambre, bientôt détruite par une bombe. L’hôtel est en ruines. L’horreur de la guerre est partout.
Ce spectacle aux limites du supportable montre l’évidente parenté entre violence domestique et violence politique. L’explosive théâtralité des textes de Sarah Kane n’est pas sans rappeler la mythologie grecque et les tragédies antiques. Ce n’est donc pas un hasard si sa deuxième pièce, Phoedra’s love est une récriture d’Euridipe.

BlastedL’œuvre de Sarah Kane se compose de cinq pièces et d’un scénario pour la télévision britannique, écrits entre 1993 et 1999. Le 20 février 1999, elle se pend avec ses lacets dans les toilettes de l'hôpital King's College de Londres, un an avant la création de 4.48 Psychosis dont elle venait d'achever la rédaction. Elle avait vingt-huit ans. Très vite après sa mort, les critiques ont reconnu avoir méjugé cette œuvre novatrice et Sarah Kane est aujourd’hui considérée comme un auteur du même niveau qu’Harold Pinter, Edward Bond ou Samuel Beckett.

Blasted, in complete plays, Methuen Drama editor, with an introduction by David Greig, 2001
Blasted/Anéantis, L’Arche éditeur, traduit de l’anglais par Lucien Marchal, 1998

Portait de Sarah Kane, tiré de NYT, 10/01/2008

haut de page

Les oubliés

Le nain de Pär Lagerkvist, par Françoise Renaud

Le nain (couverture)Ce roman interpelle si vivement, autant dans son récit que dans son écriture, qu’il ne peut quitter le rayon le plus accessible de la bibliothèque. On y revient sans cesse.

Italie du XVIe siècle. Le bouffon Piccolino raconte la vie à la cour du puissant Leone, comme au fil d’un journal intime. Il confie avoir été vendu par sa mère à sa naissance car trop laid et difforme. Il prétend pourtant être pareil aux autres hommes hormis sa « tête trop forte » et sa figure « qui a un nombre de rides exceptionnel ». De toute façon il se réjouit d'avoir cet aspect qui lui vaut la bienveillance de son prince qu'il admire. Outre « sa langue mordante », il jouit d'une puissance physique considérable. Depuis qu'il a étranglé Josaphat, son concurrent, il vit seul dans l'appartement de la tour destiné aux nains. Il affirme : « Je suis content d'être seul ». Si sa monstruosité engendre chez certains de la crainte, elle en attire d'autres, à commencer par la princesse Théodora qui le charge de ses courriers vers ses amants. Ou le vieux maestro Bernardo qui l’observe telle une curiosité de la nature.
Jamais l'écrivain ne déroge de son point de vue. Tout est contenu dans le regard du nain, méchant, cynique, déroutant, nourri de sentiments violents et d’envies de meurtre. Les paragraphes sont brefs, leurs conclusions incisives. La langue efficace est aussi tranchante qu'un couperet. Et on s’effraie de ce Piccolino qui épie, dissèque, passe au crible les comportements les plus vils, manipule jusqu’à devenir lui-même meurtrier au nom de son prince adoré. Une incarnation diabolique du mal que ce corps difforme reflétant les monstruosités tapies au cœur des hommes.

Pär Lagerkvist (portrait)Pär Lagerkvist, issu d'un milieu pieux et modeste (son père était chef de gare) a traqué sans répit le sens de l'existence. Après Le Bourreau en 1933 (il avait plus de 40 ans), il connaîtra la célébrité mondiale avec Le Nain en 1943. L’année 1951 lui vaudra le prix Nobel de littérature mais jamais la tête ne lui tournera. Son œuvre tourmentée et ambiguë, questionnant sur le mal et les rapports entre sacré et religieux, demeure très actuelle.

Dvärgen, traduit du suédois par Marguerite Gay, édition Stock



haut de page

Chronique cinéma

Hors Satan de Bruno Dumont, par Jean Azarel

photo du film Hors Satan

Le cinéaste poursuit là une œuvre inclassable qui explore les mécanismes du bien et du mal dans les rapports humains. La peur et la paix rôdent en filigrane, le profane et le sacré se frôlent dans un jeu subtil d’attirance et de répulsion. Quand la nature frissonne sous le vent (quasi permanent, l'un des rares sons d’un film sans musique et chiche en paroles), l’inquiétude n’est jamais bien loin. L’amour au sens commun des hommes s’avère impossible, parce que quelque chose du ressort de l’innocence s’est perdu. Quant au sexe longtemps nié, il reste paroxystique même si sur le sujet Dumont semble plus apaisé que dans ses précédents opus.
Il met en scène une rencontre dans un univers villageois rassis, miséreux, entre dénuement et « no future ». Qui est « lui » ?  Un avatar de Dieu ou du Diable, un clochard plus terrestre que céleste, un magnétiseur ou un mystificateur qui en veut aux hommes et envoûte les femmes ? La réponse est ouverte, même si d’aucuns reprocheront à Dumont une forme de machisme latent et trop d'application à faire de son personnage le chantre d’une vérité révélée dans la violence et la marginalité. « Elle » est plus facile d’approche, dans sa sensualité douloureuse comme dans une humanité d’adolescente à qui la vie a volé sa jeunesse.

affiche du film Hors SatanHors Satan procède du rite initiatique. Qu’il s’agisse pour « elle » de jouer les équilibristes pour traverser une pièce d’eau sur un muret étroit, pour « lui » de donner le passage en soulevant barbelés et loquets de bois. In fine « lui » conduit celles qui le suivent dans un univers matriciel, placentaire, où les humains retournent à l’état de fœtus dans une immensité soudain recroquevillée.
La nature et les éléments sont filmés jusqu’à l’irritation de l’œil. Chez Dumont l’eau est lumière, indomptable dans son parcours jusqu’à la mer que le couple atteint sans pouvoir y renaître. Comme si dans le franchissement des dunes l’effort était trop terrible – la cadence des respirations en témoigne – pour avoir droit au repos. Le spectateur ne quitte pas indemne son siège, et se retrouve, sinon Hors Satan, littéralement Hors de lui, et c’est sûrement le principal.

Sortie 19 octobre 2011, avec Alexandra Lematre et David Dewaele



haut de page

Entretien

Un laboratoire d'écritures, entretien avec Béla Czuppon, par Raymond Alcovère

Comédien et metteur en scène, Béla Czuppon anime à Montpellier un lieu consacré aux écritures contemporaines, La Baignoire. Sa compagnie Les Perles de Verre a produit notamment Chant de la nuit de Jon Fosse, Pâques de August Strindberg, Bureau National des Allogènes de Stanislas Cotton ou encore Music-hall de Jean-Luc Lagarce. Le spectacle Toréadors de Jean-Marie Piemme est actuellement en tournée.

Béla Czuppon

Quel est aujourd’hui le projet qui vous motive, vous tient le plus à cœur ?
Incontestablement, c’est la Baignoire.

De quoi s’agit-il ?
C’est un laboratoire, un lieu de travail et de répétition, ce n’est surtout pas le lieu des formes abouties. Ici les compagnies, dans leur acception la plus large d’ailleurs — nous accueillons des auteurs, des vidéastes ou des danseurs — sont libres de travailler, de retravailler et de présenter des formes en devenir. Une mise à l’abri en quelque sorte pour un temps donné.

La BaignoireL’écriture dans ce métissage de formes est-elle toujours présente ?
Dans les choix que je fais, et surtout dans les chantiers que j’ouvre, l’écriture est motrice. La langue change, les écritures sont multiples et protéiformes. Notamment l’écriture théâtrale qui ne revêt plus, depuis longtemps, ses habits classiques d’échanges de répliques ou de problématiques réalistes. Nous sommes souvent entre la prose épique, la poésie, la poésie sonore, ou plus encore un support à des formes non répertoriées. C'est cette évolution des formes qu’il me plaît de suivre.

La Baignoire, c’est aussi un lieu de rencontre, d’échange ?
Oui bien sûr, j’aime cette idée du café où l’on peut discuter, débattre, je crois qu’on en a besoin aujourd’hui.

Comment voyez-vous l’évolution de ce lieu ?
Actuellement il est trop petit ; on peut recevoir entre 20 et 30 personnes, une capacité entre 50 et 100 personnes serait idéale. Cela dit, ce lieu qui existe depuis 5 ans n'a trouvé que récemment son rythme de croisière. Le faire évoluer est aujourd’hui nécessaire, tout en gardant cet esprit d’expérimentation et d’ouverture.

Sur l’île déserte, quel(s) livre(s) emporteriez-vous ?
Cette question a quelque chose d’angoissant : qu’est-ce que j’irais faire sur une île déserte ? Pourquoi y serais-je relégué ou banni ? Cela suppose une catastrophe où les livres seraient perdus en totalité ou en grande partie. L’état de catastrophe n’est pas souhaitable même si elle nous pend au nez. Si la question est celle des livres qui me hantent pour le moment, avec lesquels je parle, je dirais : côté philosophie, ceux de Peter Sloterdijk – surtout sa trilogie Sphères ; côté théâtre, l’édition complète de Jean Racine dans la Pléiade et/ou Jean-Luc Lagarce ; côté poésie : Rilke et/ou Michaël Gluck (Dans la suite des jours) ; côté roman : Kundera et… Le jeu des perles de verre d'Hermann Hesse.

Béla Czuppon

www.labaignoire.fr

haut de page

Événement

Bagnols-sur-Cèze, 19 novembre 2011, par Cécile Jodlowski-Perra, directrice de LR2L

Exposition Chez mon libraireDes photographies de commerces de livres — 30 librairies indépendantes — dans un lieu dédié au prêt : la Bibliothèque Léon Alègre de Bagnols-sur-Cèze qui fêtait à cette occasion ses 10 ans. Des mots d'écrivains évoquant l’émotion des lecteurs et clients — 30 textes sur la complicité avec son libraire et l’acte de lire. Pistes brouillées… Ou plutôt non, en définitive, juste logiques, puisqu’il s’agissait d’un événement fédérant intimement les maillons de la chaîne du livre dans notre région, autour d'un enjeu national.
Languedoc-Roussillon livre et lecture organisait en effet, avec ses partenaires la Drac Languedoc-Roussillon, la Région Languedoc-Roussillon et l'Europe (FEDER), avec le soutien de ses partenaires média (Télérama, Midi libre, BSC News) et Languedoc-Roussillon Cinéma, une exposition itinérante consacrée aux 30 ans de la loi Lang instituant le prix unique du livre et à la librairie indépendante. Le lancement à Bagnols-sur-Cèze, première étape de cette tournée de 18 mois, a permis de célébrer la cohérence de ce projet collectif, construit avec le concours d’un grand nombre d’acteurs du livre et de la culture de notre territoire.
Auteurs, libraires, bibliothécaires, élus et acteurs culturels ont échangé avec animation mais aussi inquiétude sur l’actualité du secteur. Défendre un commerce de proximité tel que la librairie reste aujourd’hui un engagement de chaque jour, qu’il s’agisse de villes de la taille de Bagnols, de communes rurales ou encore de grandes agglomérations. Professionnels, collectivités initiatrices de marchés publics, grands lecteurs ou lecteurs occasionnels, à chacun de faire vivre le livre aujourd’hui, et surtout demain !



haut de page

Arts plastiques

Passage éclair au Kenya, de Didier Millotte

Je suis parti une semaine au Kenya via l'Ethiopie pour donner des cours de BD dans une conférence internationale sur l'édition. Passage aussi court qu'impressionnant.

dessin Didier Millotte

dessin Didier Millottedessin Didier Millotte

Entre deux lieux touristiques, des villages d'une grande pauvreté.

dessin Didier Millottedessin Didier Millotte

Limuru. Le lieu des conférences, un ancien terrain de golf. Des singes viennent courir sur les toits.

dessin Didier Millottedessin Didier Millotte

J'ai vu un lion de près. Malgré le plexiglas, sa puissance m'impressionne. Il grogne à peine que je bondis vers l'arrière. Maintenant, je n'ai plus peur des chiens.  J'ai aussi approché des girafes en liberté, caressé la tête de l'une d'elles. Attention, pas de gestes brusques.

dessin Didier Millottedessin Didier Millotte

Un masaï avec son troupeau, c'est comme en rêve.

dessin Didier Millotte

Des baraquements en bois, des boutiques pour touristes peintes en rose vif. La vallée est immense, silencieuse.

dessin Didier Millotte

Et puis il faut rentrer à la maison…

dessin Didier Millotte

dimillotteblog.blogspot.com

 




Extases, sculptures de Bona Mangangu

sculptures de Bona Mangangu

Peintre et poète, Bona Mangangu est né à Kinshasa au Congo et a étudié l'histoire de l'art, la littérature et les sciences de l'éducation à Paris VIII. Son travail reflète une esthétique du peu et du silence. Inlassable promeneur et amoureux des immensités désertes, il explore les distances entre l'homme et le monde et tente d'approcher le sacré sous ses aspects les plus insaisissables.
Il partage aujourd'hui sa vie entre le Royaume Uni où il enseigne les arts visuels et la France.

« Je touche à des régions où ce que l'on éprouve n'a aucun rapport avec ce qui est éprouvé. Tous les matins, j'avance pieds nus devant le velours de la mer. Sa respiration et ses hoquets bleus sur les revers de dunes me donnent des sensations d'éternité. Le ciel de mon pays d’accueil, à cette époque de l'année, est bas. De temps à autre, j'entends des rumeurs, un bruissement sourd ; c'est le tremblement de l'infini sur les miroirs de la mer et sur la ligne de l'horizon. Le ciel redevient le pays d'à côté [...] » (in avant-propos Carnets d'Ailleurs)

sculpture de Bona Mangangusculpture de Bona Mangangusculpture de Bona Mangangu

 


 

Une mémoire argentique, d'Elisa Fuksa-Anselme

photo-peinture d'Elisa Fuksa-Anselme

photo-peinture d'Elisa Fuksa-Anselme« Dans les années trente, un instituteur de montagne passionné de photographies prenait ses contemporains pour sujets. Ses plaques remisées au fond d'un grenier gisaient dans la poussière.
Quelqu'un a dit : "On meurt deux fois, une fois quand on meurt, une deuxième fois quand on ne sait plus qui est sur la photo." Si la photo m'anime, elle redevient vivante. »

Ce travail met en œuvre des techniques mixtes : photo-peinture. Mixtes quand le numérique permet d'extraire du passé quelques plaques photographiques argentiques. Mixtes, quand les papiers imprimés sont déchirés puis marouflés sur des supports divers, pour enfin être peints avec des pigments à l'huile ou acryliques. Mais dire cela serait réduire le travail à des techniques.
« J'aimerais pouvoir parler de ma rencontre avec ces postures et ces regards d'hier, dit Elisa Fuksa-Anselme. Comment transmettre que cette photo m'attire, me trouble, me parle. Quel lien tisser avec ces gens qui n'existent plus et que je ne connais pas ? Et quel lien entretenu par la photo avec la mort ? »

photo-peinture d'Elisa Fuksa-Anselme

photo-peinture d'Elisa Fuksa-Anselmephoto-peinture d'Elisa Fuksa-Anselmephoto-peinture d'Elisa Fuksa-Anselme

De haut en bas et de gauche à droite :
Départ, 29 x 23 cm
Enfant, 19 x 29 cm
Pause ou pose ?, 30 x 21 cm
Les écoliers, diptyque, 23 x 80 cm
Devant l’objectif, 20 x 60 cm
Regards, 28 x 20 cm
Toutes œuvres, techniques mixtes, 2011

photo-peinture d'Elisa Fuksa-Anselme

www.elisa-fuksa-anselme.com

 

haut de page

Parutions - septembre à décembre 2011

septembre

Diot couvBleuette DIOT
Yrmeline et le château du Graal, roman historique et fantastique, Éd. du Pierregord
Aventures, mystère et sensualité au cœur d’une intrigue haletante. Il s'agit du tome 2 d'un cycle romanesque au souffle mystique.
Pour amateurs du genre.

octobre

Azarel couvJean AZAREL
Marche lente, Éd. Samizdat (Genève)
Hymne à la construction d’une vie, chant d’un amour qui jamais ne dit son nom mais  prend le risque fou de laisser l’autre libre de son existence et de ses choix, Marche lente est l’œuvre d’un poète nourri de jazz et de chansons dont la petite musique oscille sans cesse entre majeur et mineur.

Roques couvGeorges ROQUES
La défense et la sécurité de la France au XXIe siècle, collection Questions ouvertes, ouvrage collectif, SCEREN, édition CNDP-CRDP
Dans un monde turbulent et incertain, de nombreuses questions invitent au débat d'idées à propos de la défense des territoires et de la sécurité des populations : nouveaux défis, territoires à défendre, relations à établir ou conforter entre le citoyen, sa défense et sa sécurité, mémoire des évènements passés.

Szabo couvFrançois SZABO
Punk Poems, poésie, chez Obsidiana Press, édition en anglais version originale
Recueil de poèmes en anglais, poèmes de désillusions et d'illusions, faisant également allusion à des repères perdus puis retrouvés, formes de déconstruction et de reconstruction, d'inquiétude  et de résurgence.

Teisson Cher Azad couvJanine TEISSON
Cher Azad, contes, Éd. Chèvre Feuille Étoilée
Voici Azad, poète musicien dans la chambre de Yasmina, la sultane qui a pour règle de ne jouir qu'une seule nuit de ses amants et de les faire exécuter au matin. Ce cher Azad, maître des mots et de l'art érotique, saura-t-il désarmer et séduire la sultane et ainsi sauver sa vie ?

Teisson Pesticides couvJanine TEISSON
Pesticides Pizzas et petit bébé
, petit roman policier, Éd. Oskar
La cité des Capucines c'est vraiment Chicago ! Un bébé  enlevé, les chiens du quartier  empoisonnés et Yannick embarqué par la police ! Helena et les Rebelles : Mérièm, Frida, Idir et Samuel, mènent l'enquête.

novembre

Ferrari couvFlorence FERRARI
La légende de Montmorin, roman, Eyetime éditions, coauteur Philippe Dubuis
Un thriller historique et métaphysique autour  d’un château auvergnat et de ses habitants. Un mélange de faits réels puisés dans les archives du domaine et d’éléments plus romanesques.

Alcovere couvRaymond ALCOVÈRE
Rien compris au rock and roll, roman d'espionnage, éditions Clair de plume 34
L’Organisation, un service d’espionnage très ramifié et cloisonné, s’efforce de manipuler la politique internationale au profit de puissants groupes financiers. Il surveille les milieux écologistes, en particulier une chercheuse du CIRAD qui travaille sur les pesticides dans l’alimentation. Un hacker de génie va provoquer un sacré remue-ménage dans les agences de renseignement. Manipulations, revirements, course-poursuites mèneront les protagonistes jusqu’à Madagascar.

 

haut de page

contact ADA Languedoc Roussillon