Miroir, mon beau miroir…(5), de Nicolas Gouzy

image miroir 5

…/… Après la surprise et l’enthousiasme (ou l’effroi) viennent l’habitude et l’ennui, puis le désintérêt. Rapidement pour moi qui, depuis tout petit, m’enflammait quasiment spontanément pour tout délaisser aussi rapidement. Une sorte de lassitude me prit. Non pas que le phénomène en lui-même cessât d’être surprenant, non, mais sa tranquille manifestation au cœur de l’environnement tellement anodin de ma salle de bains le…pacifiait. J’éteignis mon smart, j’avais enregistré bien assez de néant. Je songeais prosaïquement à remplacer mon miroir, comme s’il était simplement défectueux. Peut-être par une armoirette à pharmacie pour ranger les trois Dolirhume qui me restaient d’un refroidissement hivernal. Existait-il une « garantie reflet » sur les nouveaux modèles ? Un interrupteur discret sur les miroirs haut de gamme dont la fonction était de gommer son image lorsqu’elle ne vous plaisait pas, ou plus ? Mais mon miroir avait plus d’un tour dans son sac. Il mit à profit les trente secondes pendant lesquelles je lui tournais le dos (pour pisser un coup) et changea ses sournoiseries. Un court instant je me suis lavé les mains machinalement. Le filet d’eau s’écrasait sur rien, éparpillait filets et gouttelettes sur mes mains invisibles puis coulait au fond de la vasque…qui n’était plus la mienne ! Je levais les yeux pour observer une autre salle de bains, rien de moins ! Cela valait bien le bond arrière qui me propulsa dans la douche. Voilà que mon miroir ouvrait une nouvelle fenêtre vers une autre réalité, puis une autre, une autre encore, toutes les cinq secondes environ. Un stroboscope balnéaire, pas moins, peuplé d’autres figures, de dizaines de personnes. Là y’avait de quoi rester coi ! Je n’eus même pas le réflexe de me remettre à filmer, trop hypnotisé par ce spectacle hallucinant, comme médusé. A chaque fois qu’un nouveau visage me fixait, je sursautais, m’imaginant devenir l’image inversée d’un anonyme lointain s’observant sans trop se voir pour, peut-être, me découvrir tout d’un coup, passager clandestin de son miroir, ahuri, yeux écarquillés et bouche ouverte, en train de le fixer depuis mon côté. Quelquefois l’image était vide d’humains, je n’y voyais qu’un décor plus ou moins réussi, puis tout soudain mon miroir me montrait un jeune couple, une famille pressée et puis encore et toujours cette enfilade de bustes plus ou moins dénudés, plus ou moins bien faits, surmontés de leurs têtes attitrées, par milliers…Pour calmer le vertige qui m’envahit alors je jetais une serviette de bains sur cette farce aliénée, me servant des deux appliques latérales pour tendre un écran opaque entre mon monde et tous ces autres. Les deux droïdes de Star Wars (geekitude oblige)  sur lesquels j’essuyais ma figure et mes fesses depuis une semaine allaient me protéger de ce déferlement, le temps que j’avise. …/…

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