La voie est libre, de Jean Azarel

La voie est libre, roman, éditions Douro, collection La Diagonale de l’écrivain, juin 2022
coautrice : Hélène Dassavray

 

Ce livre de la parité ferroviaire parle des trains d’Hélène et des trains de Jean, d’une mère et d’un frère disparus, des dactylos rock et de Marianne Faithfull, des amours impossibles et des amours trop rapides, de la poésie qui roule et des transports noirs, de Blaise Cendrars et des fantômes de quelques sœurs et frères encore visibles au bout des quais…

Sur le ballast des pages, les mots étincellent et filent tels une locomotive ivre de vivre.

LA VOIE EST LIBRE. Bon voyage.

 

 

 

EXTRAIT

« Difficile de trouver plus paumée que la gare de Redneck. Oubliée de la plupart des indicateurs d’horaires. Indiquée par un seul panneau aux lettres délavées qu’il vaut mieux ne pas louper. Au bout du jeu de piste, du chiendent sur les voies. Des tags le long du ballast, que les graphistes ont dû dessiner dans toutes les positions possibles, un vrai kamasutra, ces gars sont des héros que le ministère de la culture devrait décorer de l’Ordre du Tag International.
Une cabine de WC, la même pour les hommes et pour les femmes, pas un cadeau pour les dames, distincte du hall d’attente, dont la porte crachote au vent. Le genre de lieu qui suinte la mélancolie et la bouffe en boite refroidie.
R. avait loué un wagon de seconde accroché à une loco cacochyme garée en fin de quai. En m’embrassant, il m’apprit qu’il ne passait plus que deux trains de marchandises par jour, un dans chaque sens. Il avait obtenu, sans que je comprenne bien dans quelles conditions, une autorisation de circuler. « Tu n’as pas fait de connerie au moins » lui dis-je, mais il haussa les épaules Comme je demandai où était le conducteur, il me répondit en grommelant qu’il n’y avait pas de conducteur, « Qu’est-ce que des mecs comme nous ont à foutre d’un conducteur pour mener leur vie, tu peux me le dire ? ».

On ne connaît jamais la distance exacte entre soi et la rive

un article critique de Jean AZAREL, 14 janvier 2016
à propos du dernier livre d’Hélène Dassavray, collection Sur le billot, éditions lBl, la Boucherie littéraire, 2015

article AZARZEL
« On ne connaît jamais la distance exacte entre soi et la rive ». Tel est le postulat, et le titre, du dernier recueil d’Hélène Dassavray paru aux éditions La Boucherie Littéraire. À mots découverts délicatement posés à l’aune de la féminité, Hélène Dassavray raconte l’histoire dans l’Histoire des femmes fontaines, et c’est un bonheur de boire cette eau-là qui mène en douceur à l’au-delà poétique.

« Si une petite mort / Fait jaillir une fontaine de l’aven / Qu’en est-il de la grande et de ses abysses / La femme sage / Le sait / De source sûre ».

On me dira que c’est la moindre des choses que les poèmes ruissellent, coulent, inondent, éclaboussent parfois, s’épandent de page en page comme le meilleur engrais. Certes, mais ils le font ici avec une élégance mesurée, une écriture au doigté fertile, un respect de la matière transfigurée, qui appartiennent à celles qui ont vraiment vécu et savent le raconter avec une humilité palpable.
« Une femme voit couler son sang à chaque lune / Peut être pour cela / Qu’elle éprouve moins le besoin / De Verser celui des autres ».
Il me faut l’avouer : j’ai longtemps cru que les femmes étaient les seules à pouvoir sauver le monde, et accessoirement (égoïstement) ma personne, avant de me rétracter. À la fin de la traversée délicieusement liquide effectuée avec « On ne connaît jamais la distance exacte entre soi et la rive » d’Hélène Dassavray, je me suis remis à espérer.