Chronique de Jean Azarel : Des forêts de couleuvre/Frontalière, de Laure Anders

Échos de lecture de Jean Azarel à propos du livre Des forêts de couleuvre / Frontalière, de Laure ANDERS (La Boucherie Littéraire, 2020)

Il ne fait généralement pas bon avaler des couleuvres…sauf quand elles habitent les forêts de Laure Anders.
Avec Des forets de couleuvres / Frontalière, Laure Anders nous subjugue de deux textes incandescents qui se suivent (ils auraient pu tout aussi bien s’entrecroiser) sur le même thème d’une relation amoureuse nomade revue et corrigée par le temps.
Lorsqu’on cherche dans un livre quels extraits faire partager dans une chronique, c’est soit très mauvais, soit très bon signe. Ici, la deuxième hypothèse réduit à néant la première. Extraits donc, au gré du hasard des pages ouvertes.

Des lits défaits s’étalent dans le ciel / Plus loin à portée d’horizon constellation de hauts fourneaux / divisant le vert des mélèzes en zones de désir.

En serpentant avec un art consommé de la suggestion qui érotise en point de croix une histoire somme toute banale dont elle transforme le plomb en or, Laure Anders élève haut la condition humaine jusque dans ses bas arrangements de dominant (l’homme) à dominée (la femme).
Si la poésie la meilleure est aujourd’hui très largement féminine (et pas nécessairement féministe), le fait que le sexe dit faible (tout un symbole) soit issu d’un peuple qui a beaucoup souffert, dixit Tonton David, y est de toute évidence pour quelque chose.

Dans ce recueil cueilli et recueilli, le sortilège tient  tout entier dans le degré de tolérance complice dont la narratrice fait preuve à l’égard des foucades de son amant. Pas illogique puisque si la couleuvre pique, son venin est inoffensif. Le consentement masochiste de l’auteure, héritière à sa façon du Passe-muraille de Marcel Aymé, vaut autant absolution de la possession qu’acceptation de la flétrissure. Le renoncement choisi au classicisme amoureux, lui permet d’accéder via des rites de passage singuliers à l’initiation intime dans laquelle se reconnaîtront bien des femmes. In fine, « parce que c’était lui, parce que c’était moi », qu’importent le mâle, le comportement, la posture ; la morsure demeure, sous la gouvernance répétitive de la fantaisie, avant la rupture programmée.

Dépendante volontaire des exigences de la matière, addict des cinq sens plus les quatre éléments, amante de la nature régénératrice comme de la peur animale, accro aux descriptions toutes en ombres, lumière et détails d’orfèvre, à l’âge où rien n’est encore inguérissable, Laure Anders nous emballe en déballant son histoire avec une précision de langue qui n’enferme jamais sa liberté de ton dans un papier cadeau factice.
Lecteurs, lectrices, nous voilà à notre tour livrés pieds et poings liés, mais pas que, à une écriture griffée de nostalgie comme de coups de fouet, dont les marques tangibles s’écrivent en variations de souffle, lèvres serrées malgré la bouche ouverte, trouvailles verbales aussi ingénieuses que d’une sobriété étincelante. Et ce voyeurisme-là est troublant comme la sensation du bonheur.

Et tu repenses aux verres bus dans la vapeur des bars / aux souffles échangés aux rires aux regards / Aux rendez-vous d’automne dans des parcs quand tu t’appuyais aux arbres / palpée par des paumes inconnues / quand ta peau appelait la terre ta bouche enfin si près du sol / et tout ce qui s’ouvrait en toi de vent de froid /de liberté.
Morceaux incandescents disais-je, mais cuits à l’arête, ou plutôt subtilement rosés à cœur et à corps pour épousailles carnivores sur le billot du boucher. Tout y est : le thermostat à température variable, l’os rongé, le muscle goûteux, les épices, la puissance ineffable du vécu, jusque dans une fin elliptique qui évoque irrésistiblement les retrouvailles fugaces d’Heather Graham et Joseph Fiennes, beaux mais perdus, dans les escalators roulant en sens inverse du film Killing me softly. Tue-moi en douceur, que j’ai le temps de naître.

Traversant alors de nouvelles frontières moins agitées, Laure Anders se dédouane de celle de l’amour passant/passé sans attenter à l’oubli mais avec le zeste de mélancolie qui est l’apanage des vraies solitaires, quand elle est tentée de lui écrire, de le rejoindre encore dans les forêts de couleuvres. Charmeuse de reptiles aux vibrations encore fragiles, elle se rappelle de l’ultime revoyure où il portait ce jour là, de bien jolies chaussures de danse bleues, mais aussi qu’il n’y a ni début ni fin / à la course des jours qui nous tiennent en laisse / il n’y a qu’ici maintenant.

Si vous ne devez acheter qu’un seul livre de poésie en cette fin d’année, c’est celui-là. Prodige vous dis-je.

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