Parlottes et grignotes, de Nicolas Gouzy

Parlottes et grignotes, chroniques, éditions Troba Vox, mars 2024
Illustration de couverture : Bruno Béghin

Troisième recueil annuel de chroniques quotidiennes livrées sur Facebook sur tous les sujets et tous les tons. L’auteur y parle de gastronomie, de littérature, d’actualité mais surtout de lui sous forme de billets d’humeur réguliers d’une page environ. Il ne retient que ceux appréciés de ses lecteurs habituels.

 

EXTRAIT

Alors que faire ?

Si jamais je perds, si jamais je te perds, si jamais je vous perds ou bien si je me perds, je sais bien où aller pour vous retrouver et m’y refaire un cœur d’été. Je sais bien que faire de tout, afin de ne plus savoir quoi faire du tout, mais pour mieux apprendre à nouveau, apprendre à aimer tout d’abord : la vie, toi, vous. Si jamais on m’amène dans la grande Forêt, celles des ogres et des loups, des sorcières et des châteaux ensorcelés entourés de ronces, je sais bien comment faire pour retrouver mes frères ou bien ma sœur. Je devrai épuiser l’Ogre et le rendre fou de chagrin, tuer le loup et me vêtir de sa peau, pousser la sorcière dans le four et puis embrasser la princesse, je sais cela. Si jamais je passe à la planche ou si l’on me débarque sur un îlot funeste, si l’on me perd au désert, si la jungle m’entoure, si la neige et la glace m’enserrent, je sais quoi faire ; j’ai lu des dizaines d’auteurs dont les héros ont survécu à bien pire encore. Et si plus tard je suis poursuivi, pisté, guetté, avec appétit, par des zombies, des esprits, des tueurs masqués, des fanatiques adorateurs de dieux sanguinaires, je saurai comment faire, comment brouiller les pistes, comment m’y soustraire, comment leur échapper ; j’ai vu tous les films nécessaires et plus encore. Alors si jamais je perds la partie, si jamais je perds l’amie, si jamais je m’égare et que j’erre loin d’elle et de vous, je sais comment et quoi faire : j’écrirai un long roman d’amour et d’aventure pour que d’autres enfants ne craignent plus la vie.

 

Colibris et Traits de plume, de Nicolas Gouzy

Colibris et Traits de plume, recueil de chroniques, éditions TrobaVox (collection Votz de Trobar N° 38), juillet 2021
Couverture de Bruno Béghin

J’écris presque tous les jours un billet d’humeur sur ma page Facebook. Petits textes inspirés de l’actualité, du temps qu’il fait, de mon humeur du moment. Je n’en garde que les plus aboutis et ceux que mes lecteurs préfèrent pour les faire paraître rangés par ordre alphabétique sous forme de recueils. « Colibris… » est le dernier en date d’une série qui en compte déjà trois.
ma page Facebook

 

EXTRAIT

C’est joli un colibri. C’est un joyau qui vole en vrombissant d’une fleur à une autre pour les embrasser. Les Brésiliens l’appellent beija-Flor, les anglais humming-bird et nous oiseaux-mouches, ce qui est moins poétique, il faut l’avouer. Si petit, si minuscule que pour être vu il porte des plumes faites de copeaux d’arcs-en-ciel, d’élytres de cétoines dorées et de papiers de bonbons. Si fragile, si presque rien qu’il a décidé de devenir le plus bel oiseau de la Terre, avec ceux du Paradis. Que serait le monde des volants, voletants, virevoltants sans cet oiseau saphir et émeraude, opale et rubis ? Que serait notre monde à nous, immobiles et privés de ciel, sans ses colibris ? Et quelle tristesse pour toutes ces fleurs qui ne seraient plus embrassées de milliers de petits baisers donnés à toute vitesse. J’aime, comme le beija-Flor, butiner d’un mot à l’autre et ne rien laisser d’autre dans le vent, peut-être, qu’un baiser d’arc-en-ciel dans un monde morose. C’est peu de chose mais au moins c’est joli.

Affabulettes et Picocontes, de Nicolas Gouzy

Affabulettes et Picocontes, recueil de chroniques, autopublication via Blurb, novembre 2018

« Comment choisir entre fabulettes et affabulations ? Finalement j’ai adopté leur enfant naturel. Souvent j’affabule, je romance, j’enjolive, j’emballe la réalité dans du papier doré pour plaire ou du papier crotté pour dégoûter. J’aime les fables, les petits mensonges quand ils sont bien écrits, les inventions sages. Les certitudes et les modes d’emploi sont des portes closes, mes affabulettes sont des fenêtres ouvertes. »

format poche, 177 pages, contacter l’auteur via Facebook

Inondations 2018, une chronique de Nicolas Gouzy

Chronique d’un événement, 2018

Trente ans d’une vie dans une benne de tracteur, trente années de labeur englouties par l’eau furieuse du Lauquet, entremêlées, concassées et dont il ne reste plus que des débris méconnaissables recouverts d’une boue noirâtre à l’odeur putride. Rien ne subsiste, rien n’a résisté. L’inondation a laissé en s’évacuant le fantôme du niveau atteint sur les murs, plus de deux mètres cinquante, c’est sûr. On a beau fouiller la vase à la recherche de quelque chose de récupérable ou simplement d’identifiable, le constat est partout le même : « à la benne ». Les sacs-poubelle en plastique noir, ces indéchirables de 100 litres dont on ne savait que faire, s’éventrent consciencieusement, laissant glisser dans la ruelle où ils s’empilent les entrailles d’une vie. On ne mesure pas ce que trente ans d’habitudes, trente ans de travail, de patience, d’efforts représentent en « vrai », le poids, le volume, la diversité, le tout d’une vie. Au bout du centième sac noir, après que les jeunes du village ont viré les meubles les plus lourds et les plus volumineux, les indestructibles bahuts, les imposants canapés et les étagères sur-mesure, il faut accepter que le tout soit devenu indistinctement le futur contenu d’une déchetterie monumentale où tout un village finira amassé. Trente ans de souvenirs, quand ce n’est pas une vie perdue, trente années d’économies, d’emprunts, trente ans pour réussir son jardin, pour punaiser aux murs quelques affiches-conseils dérisoires sur les risques de l’alcool ou du tabac. Et toujours l’odeur âcre et grasse du limon apporté par ce ruisseau d’habitude si vert, si tranquille, fainéant même et avare de son eau. Reste le vide, toujours sali, d’un quotidien meurtri, la porte qui ne ferme plus, comme un vertige triste qui vous serre là et la sirène d’un camion de secours qui retentit au loin. Lire la suite…

Miroir, mon beau miroir…(épilogue), de Nicolas Gouzy

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Je lève un bras vengeur et… tout dérape ! Je m’y attendais un chouïa. Mon coup rencontre le vide ! Ma masse empêtrée dans les droïdes, emportée par son poids, file à travers le trou-miroir sans rencontrer la moindre résistance, comme si je l’avais projetée à travers une  ouverture dans la cloison. Déséquilibré, je trébuche et me vautre sur le lavabo que je percute la boule en premier, plein fer sur le rebord, KO, fondu au noir !

Je me réveille dans l’état que vous imaginez…Mon premier réflexe est de vérifier cet état dans le miroir, évidemment. Figurez-vous que je m’y vois ! Normalement, avec tout partout, et dans le bon décor cette fois ! Je ne suis pas beau à voir mais c’est un tel soulagement que j’embrasserais bien mon reflet. Quel bonheur de voir cet hématome bleui et gonflé me recouvrant la moitié de la figure, cette lèvre fendue soulignée par un filet de sang coagulé ! Je ne peux regarder qu’avec l’œil droit, l’autre est gonflé, quasi fermé, mais c’est un régal ! Mes esprits me reviennent peu à peu, comme mon reflet m’est revenu et justement…Merde ! Quelque-chose cloche. Là-bas, dans le reflet, la masse a fracassé la paroi vitrée de la douche et la serviette Star-Wars gît sur une jonchée de verre brisé. Je me retourne. Tout est intact « chez moi ». Je tâte le miroir de la main, lisse, dur et frais. Le coup sur la tête a dû me faire perdre les pédales. J’ai tout rêvé dans le temps de mon petit coma, allongé sur le carrelage. Rien de tout ceci n’est arrivé et dans quelques secondes les deux côtés de mon miroir seront enfin semblables.

C’est ce que je pense, ce que je souhaite, ce que j’espère. Je vais chercher de la glace dans le congélateur de mon frigo pour me mettre sur la tronche. Je farfouillerai dans les placards pour trouver de l’aspirine quelque part et un whisky aussi. Peut pas faire de mal, vu l’état du buveur. Mais sitôt le seuil de la salle de bains franchi, j’entends dans mon dos un fracas de verre brisé et un autre choc, sourd, au sol. Je me retourne suffisamment vite pour englober dans un seul coup de l’œil qui me reste : la version face de la paroi de douche ravagée et l’image du dos d’un « moi-pile », quittant l’autre-côté de ma salle de bains dévastée « pour de vrai » tout en me faisant un doigt d’honneur tout à fait terrifiant.

Miroir, mon beau miroir… (6), de Nicolas Gouzy

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…/… La farce a assez duré. Même si le bouquet « voyeur planétaire » m’est offert sans abonnement, je trouve ça indécent. Je ne connais pas de lieu plus intime et plus secret qu’une salle de bains, même pas la chambre à coucher ouverte pourtant à tous les sextapes, comme les moulins de l’ancien temps étaient ouverts à tous les vents. La salle de bains c’est le lieu de l’abandon par excellence, le lieu de l’aveu, là où santé, propreté et beauté échappent encore un peu aux diktats et aux regards inquisiteurs d’une société obsédée par la performance. Le matin, à 6-7 heures, tu performes rien du tout, tu rampes, tu râles, tu éructes, tu craches, tu pètes, tu te cures les oreilles, tu essaies de venir à bout des mèches rebelles d’une tignasse informe. Et je ne parle même pas des batailles qu’y livrent les femmes… La salle de bains est l’endroit où se concentrent les tabous sur les corps nus, les vérités sur les silhouettes imparfaites, sur les cicatrices, les prothèses, sur les petites tromperies que permet un maquillage discret et même sur les grands ravalements. C’est aussi le lieu de toutes les promesses : celle du poids idéal reconquis comme celui de la beauté conforme et conquérante.
Vous n’imaginez pas une option « share » bombardant sur Youtube vos aventures balnéaires démaquillées, flasques et hésitantes ? Non ? Alors vous comprendrez ma décision du moment. Je fonce chez le Bricotout le plus proche. En route, je m’étais plus ou moins décidé pour un marteau arrache-clous. Il y en a de magnifiques, tout inox, aux manches gainés de caoutchouc noir, sans doute pour menuisiers sadomasos. Mais une masse à manche court, d’un bon kilo et demi, emporte finalement ma décision.

L’instant de l’hallali vitrier est arrivé. Je suis un peu fébrile et j’ai les mains moites. Je n’aurais pas fait un bon bourreau.
Dans ma salle de bains, R2D2 et C3PO sont toujours cramponnés au « démiroir ». Tant mieux, je frapperai dessus pour éviter les éclats. Je débarrasse les bords de la vasque du petit merdier qui l’encombre et en recouvre le fonds d’une seconde serviette de toilette pour y recueillir les morceaux. Ça va cogner. …/…

Miroir, mon beau miroir…(5), de Nicolas Gouzy

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…/… Après la surprise et l’enthousiasme (ou l’effroi) viennent l’habitude et l’ennui, puis le désintérêt. Rapidement pour moi qui, depuis tout petit, m’enflammait quasiment spontanément pour tout délaisser aussi rapidement. Une sorte de lassitude me prit. Non pas que le phénomène en lui-même cessât d’être surprenant, non, mais sa tranquille manifestation au cœur de l’environnement tellement anodin de ma salle de bains le…pacifiait. J’éteignis mon smart, j’avais enregistré bien assez de néant. Je songeais prosaïquement à remplacer mon miroir, comme s’il était simplement défectueux. Peut-être par une armoirette à pharmacie pour ranger les trois Dolirhume qui me restaient d’un refroidissement hivernal. Existait-il une « garantie reflet » sur les nouveaux modèles ? Un interrupteur discret sur les miroirs haut de gamme dont la fonction était de gommer son image lorsqu’elle ne vous plaisait pas, ou plus ? Mais mon miroir avait plus d’un tour dans son sac. Il mit à profit les trente secondes pendant lesquelles je lui tournais le dos (pour pisser un coup) et changea ses sournoiseries. Un court instant je me suis lavé les mains machinalement. Le filet d’eau s’écrasait sur rien, éparpillait filets et gouttelettes sur mes mains invisibles puis coulait au fond de la vasque…qui n’était plus la mienne ! Je levais les yeux pour observer une autre salle de bains, rien de moins ! Cela valait bien le bond arrière qui me propulsa dans la douche. Voilà que mon miroir ouvrait une nouvelle fenêtre vers une autre réalité, puis une autre, une autre encore, toutes les cinq secondes environ. Un stroboscope balnéaire, pas moins, peuplé d’autres figures, de dizaines de personnes. Là y’avait de quoi rester coi ! Je n’eus même pas le réflexe de me remettre à filmer, trop hypnotisé par ce spectacle hallucinant, comme médusé. A chaque fois qu’un nouveau visage me fixait, je sursautais, m’imaginant devenir l’image inversée d’un anonyme lointain s’observant sans trop se voir pour, peut-être, me découvrir tout d’un coup, passager clandestin de son miroir, ahuri, yeux écarquillés et bouche ouverte, en train de le fixer depuis mon côté. Quelquefois l’image était vide d’humains, je n’y voyais qu’un décor plus ou moins réussi, puis tout soudain mon miroir me montrait un jeune couple, une famille pressée et puis encore et toujours cette enfilade de bustes plus ou moins dénudés, plus ou moins bien faits, surmontés de leurs têtes attitrées, par milliers…Pour calmer le vertige qui m’envahit alors je jetais une serviette de bains sur cette farce aliénée, me servant des deux appliques latérales pour tendre un écran opaque entre mon monde et tous ces autres. Les deux droïdes de Star Wars (geekitude oblige)  sur lesquels j’essuyais ma figure et mes fesses depuis une semaine allaient me protéger de ce déferlement, le temps que j’avise. …/…

Miroir, mon beau miroir…(4), de Nicolas Gouzy

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…/… Ce coup-ci je vais tout filmer avec mon smartphone, on verra plus tard à en tirer quelque chose d’exploitable. Si je ne m’y vois plus et bien mon smartphone ne m’y verra pas non plus, quoique… Et s’il se passe des choses incongrues, j’aurai au moins de quoi m’interroger plus tard, à tête reposée. J’appréhende un peu, juste le temps de faire ces quelques pas si familiers et tant de fois parcourus. Mon miroir me semble calme, il se repaît tranquillement d’une image unique et vide de moi, encore et toujours. Je remplis le disque dur de mon téléphone de longues minutes de vacuité. J’aurai tout aussi bien pu filmer directement un long plan séquence de mes produits de toilette, cela aurait été tout aussi excitant. Mais là, en zoomant un peu (on fait tout ce qu’on veut avec cette appli) on distingue parfaitement les marques et les slogans des dits produits lisibles en spéculaire. Mon shampoing tout bête et raide dans son flacon vert fluo devient donc une sorte de potion alchimique inventée par Léonard de Vinci et tout à l’avenant. Ça me met un peu la tête à l’envers. Je finis par m’habituer à ne plus voir mon reflet. C’est même plutôt tranquille de ne pas être stupidement là à prendre sa droite pour sa gauche, à s’admirer ou bien à expertiser ses défauts physiques en pensant qu’ils trahissent votre âge, vos manquements, vos penchants, vos addictions même. Disparaître à soi-même…Gommer le support matinal d’une crise d’ego qui risque de vous pourrir toute la journée. Si j’étais un miroir j’en aurais moi-aussi vite plein le cadre de refléter mimiques, grimaces, coiffures loupées, maquillages hâtifs, mines défaites et dents jaunies. Sans parler acné, boutons d’herpès, points noirs, gingivites, gargarismes, cotons tiges, saignements de nez et autres joyeusetés, car, pensez-y, un miroir de salle de bains ça voit tout ça aussi. J’accorde donc au mien le droit d’une grève temporaire ou d’un congé, le droit d’aller refléter ailleurs, le droit au bonheur d’inverser enfin de beaux visages et pas ma trogne hirsute d’écrivain alcoolique tentant de gommer les séquelles d’une nuit blanche. Je me dis que la clef pour le paranormal c’est de l’apprivoiser, d’en trouver le côté prosaïque, la raison bête et flagrante pour laquelle une petite ou une grosse bizarrerie tente d’envahir votre vie. Mais c’est toujours une affaire de réciprocité et, pour le coup, je suis un peu en peine…./…

Miroir, mon beau miroir…(3), de Nicolas Gouzy

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…/… Pas trop loin non plus. Je m’écroule sur le canapé/pouf/lit d’appoint du salon/cuisine/pièce à tout de mon appartement, le cœur battant la chamade, au bord des lèvres aussi. Certains ont des monstres sous le lit, des araignées au plafond et des cadavres dans le placard, moi j’ai hérité d’un miroir en retard ! Je m’exhorte au calme et à la réflexion. Des nèfles ! Combien de fois me suis-je dit, en regardant un documentaire sur le surnaturel : « C’est le bordel leurs techniques pour enregistrer des manifestations paranormales, pas étonnant qu’ils chopent rien de plus probant qu’un couinement de porte, faudrait changer leurs protocoles » ? Mais je n’avais pas imaginé comment une intrusion paranormale, (même poétique parce que mon image « rediffusée »  ne m’avait pas sauté à la figure pour me dévorer, du moins pas encore), pouvait vous priver de tout sens critique et vous laisser sidéré, le cerveau tournant à plein régime mais à vide, sans pouvoir embrayer sur une idée constructive. J’ai été nourri et je me gave encore de tout ce que les studios de cinéma du monde entier peuvent produire d’histoires fêlées, dérangées, dérangeantes, hallucinées et j’en passe. Ce n’est pas à proprement parler une « culture », c’est une distraction envahissante, un long catalogue d’images, de situations, de climax et de characters  qui finissent par devenir familiers au point d’être prévisibles, quelquefois lassants dans leur répétition même. Là, pas loin, je tiens quelque chose d’unique, de perso, un événement dont je suis le héros malgré lui, malgré moi. Il faut que j’assume, j’ai l’âge. Lorsque j’ai emménagé, j’ai hérité des anciens locataires à peu près tout ce qui meuble l’appart encore aujourd’hui. Sauf deux ou trois bricoles, cafetière, brosse à dents, trois photos fétiches et deux vieux doudous. La flemme d’aller chez Ikea pour acheter les mêmes merdes que des milliers d’autres pékins et pas les ronds pour du design classe, autant conserver ce que mes prédécesseurs m’avaient cédé. Pourvu que le miroir fêlé n’ait pas enregistré leurs milliers d’heures balnéaires et décidé de me les repasser en mode rewind ! Comme on ne règle pas les horaires d’enregistrement sur un miroir (enfin je ne crois pas) pas moyen de prévoir quoi que ce soit. Avant de prendre une décision radicale et de le dérégler une bonne fois pour toutes en y pétant sa face à coups de marteau (qu’il va falloir que j’aille acheter et tant pis pour les sept ans de malheur promis), il faut que nous ayons un entretien, en face à face si je puis dire. …/…

Miroir, mon beau miroir…(2), de Nicolas Gouzy

 

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…/… Je décide de surseoir à toute autre investigation (Je sursois très bien, une autre forme de procrastination, j’ai souvent sursis, pour le service militaire, pour une petite peine d’emprisonnement aussi, un sursis c’est toujours bon à prendre) et je pars « réfléchir » au bistrot du quartier où je bois mon petit jus du matin. Je jette tout de même un œil inquiet à tout ce qui mire, reflète, renvoie, incidemment ou directement, une image de moi. C’est bon, y’en a, plein, des mire-moi. Pavés lustrés du hall, rétroviseurs des voitures alignées le long des trottoirs, glaces et vitrines de la rue, grand miroir du bar, lunettes de Gégé, métal argenté d’une salière oubliée, reflets bombés des deux côtés de la petite cuiller, je peuple dignement mon monde d’inversions plus ou moins déformées de mon moi encore un peu inquiet. Avouez qu’il y a de quoi ! J’en suis là et j’en suis las. Il ne me revient pas d’histoires de reflets qui se sont barrés de leurs miroirs ou bien de miroirs fatigués de refléter leurs propriétaires. Il y a bien les vampires que la mythologie hollywoodienne prive du reflet allégorique de leur âme disparue. Il y a bien Alice qui passe de l’autre côté. Il y a ceux sans tain qui dissimulent des voyeurs, psychopathes, profilers, inspecteurs et autres lance-flammes vengeurs. Il y a bien des choses en plus, en plus ou moins malveillant, malvoyant, qui apparaissent dedans, mais en moins…Je ne vois pas. Comme j’ai la chance ( ?) de ne pas avoir à aller bosser à l’autre bout de la ville puisque mon bureau c’est chez moi, je rentre au boulot. J’ai deux ou trois papiers à la con à écrire sur des glaces tendance en pots tendance dont le glacier-tendanceur n’a pas eu la délicatesse de m’en faire livrer quelques échantillons. Je vais improviser. Tant pis pour lui. Le miroir de mon couloir me renvoie poliment une image matinale dans laquelle, bien qu’habillé, je reste gris et fatigué. C’est un bon début de retour à la normalité. J’ai dû laisser la lumière allumée au-dessus du miroir vide la salle de bains car un rai lumineux filtre sous la porte…Je prends mon courage à deux mains (en vérité, pour ce que j’en ai, je pourrais aussi bien le pincer entre deux doigts), j’ouvre et décide d’en avoir le cœur et les yeux nets. Je ne comprends pas tout, du premier coup, tout d’un coup… Je vois…Je me vois ! Me déshabiller, entrer dans la douche, pisser sur la bonde (disons que ça vous ne l’avez pas vu), ouvrir l’eau, me savonner, me rincer, me sécher, puis me pencher vers le grand miroir scellé au-dessus du lavabo, essuyer la buée et me regarder, ébahi ! Ce con de truc m’a enregistré et il se repasse la scène. Je suis devant et maintenant je me vois en train de tenter de me voir, hagard, cherchant des yeux mon regard ! Alors je crie et je m’enfuis ! …/…

(à suivre)